L'AVIS DE L'EXPERT EUROPEEN 42
valerie.haupert
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Transcript
L'AVIS DE L'EXPERT EUROPEEN
Il s’agit de lutter contre les intimidations judiciaires de sociétés, personnalités publiques et autres organismes ayant des moyens importants visant à faire taire les journalistes, défenseurs des droits et lanceurs d’alerte, au mépris du droit à l’information. On les appelle les « poursuites-bâillons » (ou « SLAPP », pour Strategic Lawsuits against Public Participation). Cette directive s’inscrit dans un mouvement plus général qui a vu le Conseil de l’Europe se saisir lui aussi de la question par une recommandation du Comité des Ministres du 7 mars 2018, laquelle invitait les autorités nationales à prendre des mesures pour prévenir les SLAPP. Une consultation publique a été ouverte à l’été 2023 sur le projet de recommandation du Comité des Ministres sur la lutte contre l’utilisation de poursuites-bâillons, issue des travaux du Comité d’experts ad hoc. Le champ d’application de la directive La directive a pour champ d’application les procédures ayant une incidence transfrontière. Il en est ainsi lorsque le demandeur à la procédure a engagé, simultanément ou antérieurement, des procédures judiciaires contre le même défendeur dans un autre Etat membre. Elle a également vocation à s’appliquer à des parties domiciliées dans un même Etat membre si l’acte de participation au débat public visé touche à une question d’intérêt public qui rejaillit sur plus d’un Etat membre. C’est donc une définition large de « l’incidence transfrontière ». Ne sont en revanche concernées que les procédures civiles et commerciales, ce qui exclut celles pénales, fiscales, douanières, administratives et d’arbitrage. Si ce sont évidemment les journalistes qui sont principalement concernés par la protection nouvelle qu’impose la directive, elle a vocation à bénéficier à toute personne physique ou morale participant au débat public, dès lors qu’elles sont la cible de procédures abusives et infondées. De même, il n’y a pas de condition s’agissant du demandeur à la procédure. Toute personne est concernée, des lors qu’il est établi qu’elle est mue par une volonté de museler la parole publique, et non pour voir légitimement sanctionner une faute et réparer son préjudice. Le dispositif de protection Le nouveau dispositif doit permettre au juge saisi de rejeter d’emblée une procédure qualifiable de « bâillon ». La directive prévoit une inversion de la charge de la preuve : dans un délai rapide, le juge peut exiger du demandeur de prouver que son contentieux est fondé, sous peine de voir la procédure « gelée ». Pour les cas moins flagrants, le juge peut lui ordonner de garantir, par le versement d’une caution, les coûts estimés de la procédure en vue d’indemniser la victime pour les dommages causés. Pour contrer les velléités des demandeurs de tenter d’échapper aux conséquences d’une procédure considérée comme « bâillon », la directive impose aux Etats membres de s’assurer que toute modification ultérieure de la demande par le requérant ne porte pas atteinte au droit du défendeur de demander ces mesures correctrices. Elle instaure aussi le droit pour les défendeurs d’être soutenus, notamment par des interventions volontaires au procès, par des ONG et associations ayant un intérêt légitime à assurer la protection ou la promotion des droits des personnes participant au débat public. Enfin, sur le terrain des conséquences financières du procès, le texte impose que le juge veille bien à ce que le requérant supporte in fine tous les frais relatifs à la procédure et à la représentation du défendeur, et qu’en sus, les juridictions saisies de demandes en procédure abusive puissent appliquer des amendes, le cas échéant. Conclusion C’est donc un dispositif très conséquent qui est mis en place, qui bouleverse largement les règles habituelles du procès. Il reste que les modalités pratiques de ces nouvelles règles, notamment de « rejet rapide » des procédures-bâillons et d’indemnisation des victimes, sont laissées à la discrétion des Etats membres. On sera donc curieux de voir comment elles seront mises œuvre en France, où, il faut le rappeler, le procès de presse, pour diffamation et injure en particulier, est le plus souvent engagé sur le terrain pénal, en application de la loi du 29 juillet 1881, qui est une loi pénale. Seules les procédures pour dénigrement, atteinte au secret des affaires ou à la vie privée sont exclusivement civiles ou commerciales. Il est clair, ce faisant, que les sociétés et organismes qui sont parfois tentés d’intimider contestataires et opposants devraient choisir encore plus volontiers qu’aujourd’hui la voie pénale plutôt que celles civile ou commerciale, pour échapper à ces nouvelles protections de la liberté d’expression et du droit à l’information.
LIENS UTILES
- Texte de la directive anti-SLAPP, tel qu’adopté (en anglais, en attente de publication)
- Projet de recommandation du Conseil de l’Europe sur la lutte contre l’utilisation de SLAPP
- C. Kruger, L’Avis de l’expert européen n°28, juillet 2022
- Recommandation CM/Rec(2018)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 7 mars 2018
- Recommandation (UE) 2022/758 de la Commission du 27 avril 2022
- CASE, Rapport 2023, juillet 2023