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III-2 Revenir à la vie

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Created on March 27, 2025

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Transcript

Revenir à la vie

Le retour des absents

L'hôtel Lutetia

Reprendre une vie normale

Au rythme de l’avancée des troupes alliées, les plus de deux millions de Français détenus contre leur gré sur le territoire du IIIe Reich (prisonniers de guerre, requis du STO, déportés politiques et raciaux) sont libérés. Leur retour est attendu avec impatience mais aussi avec angoisse par la population française : les communications sont coupées avec l’Allemagne depuis l’été 1944 et les familles sont sans nouvelles de leurs proches, ignorant même s’ils sont vivants. Les mois précédant leur libération sont difficiles dans une Allemagne soumise aux bombardements alliés et à d’intenses combats ainsi qu’à de sévères restrictions. L’essentiel des retours a lieu entre la fin mars (premier rapatriement à Marseille) et la fin juin 1945, mais certains ne se font qu’en septembre 1945

Pensé dès novembre 1943 et confié à Henri Frenay, chef du mouvement de résistance Combat (Commissaire aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés) le ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés doit organiser le retour des deux millions de Français encore présents sur les territoires détenus par le IIIe Reich. Ce «ministère de la souffrance», comme l’appelle Frenay s’appuie sur plusieurs associations d’entraide et de secours : la Croix-Rouge internationale, le Secours catholique ou encore la Fédération des Prisonniers de guerre. 173 centres d’accueil sont répartis sur le territoire, notamment aux frontières mais aussi à Paris où converge la plupart des arrivées.

Les « personnes déplacées » libérées doivent d’abord rester sur place, le temps d’organiser leur retour. Rien n’a été pensé pour prendre en charge des hommes et des femmes traumatisés, à la limite de la survie physique, alors que les Alliés prennent la mesure de l’ampleur de l’horreur concentrationnaire à mesure qu’ils progressent. Beaucoup de déportés meurent d’ailleurs d’épuisement ou de maladie avant de pouvoir être rapatriés. Les retours des déportés se heurtent à des problèmes logistiques, mais aussi administratifs : beaucoup n’ont plus de papiers d’identité – contrairement aux prisonniers de guerre, par exemple. Malgré les difficultés, une logistique considérable se met en place entre avril et juillet 1945. La plupart des déportés sont rapatriés en train ou en camion, sauf les plus affaiblis et les personnalités ramenés en avion. Transitant pour la plupart par Paris, ils sont pris en charge à l’hôtel Lutétia, réquisitionné pour accueillir les survivants de la déportation de fin avril à fin août 1945.

L’arrivée des premiers rapatriés est accueillie avec joie par la population et surtout avec un immense soulagement des familles concernées. Mais, le sentiment partagé d’un décalage entre ceux qui reviennent et ceux qui vivent depuis plusieurs mois dans un pays libéré ne tarde pas à émerger. La douleur des familles et des proches qui attendent en vain le retour des leurs, morts en captivité, l’état pitoyable des survivants de la déportation et la révélation de l’ampleur du génocide font prendre conscience aux Français du caractère inédit de la violence nazie. Une campagne de sensibilisation intitulée « retour à la France, retour à la vie » est mise en place pour favoriser l’intégration des différentes catégories de rapatriés.

En 1945, après cinq ans de captivité où ils ont dû travailler mêlés au peuple allemand, 937 000 soldats français emmenés en Allemagne à l'été 1940 regagnent la France. Malgré la joie du retour, les retrouvailles sont difficiles avec un pays si éloigné de celui dont ils ont rêvé pendant leur détention, qui a bien changé depuis 1940 (restrictions, destructions) et dans lequel il leur faut réapprendre à vivre. Leur libération s’effectue au rythme de l’avancée des troupes alliées sur le territoire allemand. Les premières évacuations interviennent le 15 mai 1945, mais certains prisonniers ne rentrent en France qu’à l’automne. À leur arrivée, ils sont pris en charge par des centres d’accueil où l’on vérifie leur identité et où ils bénéficient d’un examen médical. Ce retour tant attendu déçoit cependant de nombreux prisonniers, déroutés par la froideur de l’accueil par la population et par la difficulté à retrouver leur place au sein de leur famille (les enfants qui ont grandi sans eux les accueillent comme des étrangers). La situation économique du pays rend par ailleurs difficile leur réinsertion professionnelle. À ces difficultés matérielles et morales s’ajoute le sentiment d’être rendus injustement responsables de la défaite de 1940, alors qu’on célèbre les Résistants libérateurs.

En septembre 1944, entre 430 000 et 460 000 requis du Service du Travail Obligatoire (STO) sont toujours retenus en Allemagne ainsi que 60 à 80 000 travailleurs volontaires. Après un hiver particulièrement rude, marqué par de violents bombardements alliés qui causent la mort de 25 000 Français présents en Allemagne, les opérations de rapatriement débutent fin mars 1945. Mais les requis ne sont pas prioritaires : ils passent après les prisonniers de guerre et les déportés et certains sont contraints de rentrer par leurs propres moyens. À leur arrivée, ils transitent par un centre d’accueil où un tri est opéré entre travailleurs volontaires et requis du STO. Les travailleurs volontaires sont parfois maltraités par la foule qui cible particulièrement les femmes. Le retour à la vie normale de ces hommes jeunes, le plus souvent célibataires et restés moins longtemps absents est plus facile que celui des prisonniers de guerre. Toutefois, ils souffrent du manque de considération qui leur est accordé. Les associations d’anciens requis du STO réclament en vain le statut de « déportés du travail » pour que le caractère contraint de leur départ en Allemagne soit pris en compte.

Les déportés politiques forment une minorité parmi la masse des rapatriés : ils sont environ 40 000. À la libération des camps de concentration, des déportés doivent attendre sur place que leur état de santé s’améliore ou qu’une organisation se mette en place pour assurer leur rapatriement. Bien que les témoignages soient rares, tant il est difficile de parler et d’être écouté, ceux des déportés politiques sont mieux accueillis que ceux des déportés « raciaux ». Peu après son retour de Ravensbrück, Geneviève de Gaulle assure des conférences en Suisse, France et Belgique sur son expérience concentrationnaire, afin de réunir des fonds pour venir en aide aux déportées françaises. Elle prend par la suite une part active dans l’Association des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR), pour aider celles ayant besoin d’un soutien médical ou administratif ou bien encore d’une infrastructure d’accueil. Neuf foyers sont ouverts, où les femmes déportées reçoivent des soins, sont invitées à participer à des activités collectives… dans le but de reprendre des forces et de se reconstruire psychologiquement Geneviève de Gaulle parle de « retours inégaux » pour souligner l’écart entre celles retrouvant leurs proches et leurs biens, et celles ayant tout perdu.

Seuls environ 2 500 Juifs sur les 74 150 déportés depuis la France pendant le conflit survivent. À la Libération, leur déportation est souvent placée sur le même plan que celle des autres déportés, sans qu’il y ait une mise en lumière des spécificités de la Shoah. De plus, ils sont confrontés à des difficultés particulières : familles disloquées voire anéanties, sort des jeunes enfants tiraillés entre leurs parents adoptifs et leurs parents revenant des camps, question des restitutions des biens juifs…Par ailleurs, des camps d'internement de Tsiganes restent ouverts jusqu’en mai 1946. Cette violence s’ajoute à celles subies pendant le conflit par cette population dite nomade. Bien qu’elle n’ait pas fait l’objet de déportation raciale de masse depuis la France - le seul cas étant semble-t-il le convoi Z du 15 janvier 1944 transportant 144 Tsiganes français vers Auschwitz- Birkenau -, elle a connu de nombreuses mesures discriminatoires

Une quarantaine de centres de rapatriement ont été aménagés pour accueillir les déportés. Ils sont surtout localisés dans le Nord et l’Est de la France ou à Paris comme Mulhouse, Lille, Longuyon, Strasbourg, Annemasse, Hazebrouck, Mézières, Marseille ou Orsay. Mais l’hôtel Lutetia à Paris est le plus connu en raison de son lustre, mais aussi du nombre des déportés qui y ont transité : 18 000 à 20 000 déportés sont passés par le Lutetia, soit plus d’un rapatrié sur trois. Le général De Gaulle décide de réquisitionner l'hôtel Lutetia dont les 7 étages et les 350 chambres peuvent accueillir, dès le 26 avril 1945, des arrivées de déportés qui surviennent à toute heure du jour et de la nuit. Jusqu’en août de la même année, le Lutetia devient ainsi « un palace pour revenants », selon l’expression du journaliste Henri Calet.

Des volontaires sont engagés : médecins, assistantes sociales, cuisinières, scouts et militaires, 24h/24 et cela, pendant cinq mois. Trois femmes résistantes, Marcelle Bidault, Denise Mantoux et Sabine Zlatin, assurent la direction des opérations sur place. Elles coordonnent l’accueil des rescapés qui arrivent essentiellement en bus et en train depuis la gare d’Orsay toute proche, ou de l’aéroport du Bourget. A l’arrivée des déportés, a lieu un premier contrôle d’identité, des plus sommaire puisqu’ils n’ont plus leurs papiers, ainsi qu’un examen médical parfois accéléré, ils sont douchés, brossés, épouillés au DDT (un puissant insecticide), puis conduits à leurs chambres. Les plus malades sont amenés aux hôpitaux de la Salpêtrière et Bichat. L’hôtel tourne à plein régime : certains jours, il faut servir jusqu’à 5 000 repas, dans un contexte de pénurie. Malgré cet accueil, les arrivants ne s’extraient pas du traumatisme concentrationnaire.

Dans des pièces divisées par des cloisons provisoires, les déportés sont soumis à un interrogatoire approfondi, pour compléter les listes de recherche des victimes du nazisme. Rapidement, des proches de déportés convergent vers le Lutetia dans l’espoir d’y obtenir de leurs nouvelles, parfois aidés en cela par les survivants eux-mêmes, qui apportent avec eux de précieuses informations sur leurs camarades survivants ou morts en déportation.

Sur le parvis de l’hôtel, des panneaux d’affichage ont été dressés pour y épingler des fiches signalétiques comprenant une photographie de la personne recherchée (homme, femme et quelquefois enfant) ainsi qu’une description d’elle et des circonstances dans lesquelles elle a été déportée. «Pourquoi le Lutetia est-il si important dans notre vécu ?, s’interrogera Gisèle Guillemot, déportée en 1943. C’est que, en vérité, notre deuxième vie a commencé là, dans ce lieu. Quand nous y sommes rentrés, nous n’étions que des matricules ; nous en sortions redevenus des citoyens.»

Pour les résistants et résistantes dans leur ensemble, il a fallu d’abord se « démobiliser » et sortir de la lutte ; puis reprendre le fil de sa vie. Beaucoup d’entre eux renouent avec leurs activités professionnelles d’avant-guerre ou avec des études interrompues. Il faut plus généralement affronter « le retour à l’intime », s’habituer à la vie du temps de paix, à vivre en l’absence de la peur d’une mort violente ou de l’exaltation de se battre pour une cause juste ou des valeurs, revenir au quotidien partagé avec la famille et les amis, aux habitudes de la vie non combattante, au paysage d’un monde sans guerre. Pour celles et ceux qui ont été déportés, il est plus difficile encore de réapprendre à vivre après avoir connu l’horreur des camps de concentration, dont beaucoup sont revenus traumatisés. Le retour à la santé, la réinsertion sociale sont encore plus difficiles. Pour les résistants et résistantes comme pour l’ensemble des Français et Françaises s’impose aussi le deuil

Un certain nombre de résistants et résistantes poursuivent leur engagement après la guerre sous d’autres formes. Certains et certaines s’engagent en politique, comme les sœurs Jacob : Denise Jacob (épouse Vernay), résistante, journaliste, témoigne et s’engage dans l’ADIR. Simone Jacob, devenue après son mariage Simone Veil, déportée parce que juive, deviendra ministre de la Santé en 1974 (permettant le vote de la loi légalisant l’IVG) et la première présidente du parlement européen de 1979 à 1982. En 2005, à Auschwitz, pour le 60e anniversaire de l’ouverture des camps, elle prend la parole et préside la Fondation pour la Mémoire de la Shoah de 2000 à 2007. Elle entre au Panthéon en 2018.

Gabriel Cantal est rapatrié le 27 avril 1945, rentré le 28 juin et hospitalisé à Mont-de-Marsan. Diminué physiquement (invalide à 100 %), il reprend ses activités de menuisier-charpentier/entrepreneur de Travaux Publics, et consacre le reste de sa vie à aider ses camarades rescapés des camps et les familles des disparus, à la tête de diverses associations (il est président du Comité Départemental des Landes des Déportés Politiques). Il est mort le 28 avril 1974 à Lubbon alors qu’il terminait son allocution devant ses camarades lors de la Journée de la Déportation.