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Transcript

« Ceux qui restent : Faire sa vie dans les campagnes en déclin » - Benoît Coquard (2019)

TILLIER Arnaud, LION Judith, VINAIS Ethan - CMT 12

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Introduction

L'auteur - Benoît Coquard

  • Sociologue à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
  • Habitué des sphères médiatiques, notamment lors des dernières élections législatives afin de comprendre le vote d’extrême-droite dans les sphères rurales.
  • Spécialiste des territoires français « en déclin », connaissant appauvrissement et dépeuplement.
  • « Ceux qui restent » → étude du quotidien des jeunes adultes qui restent dans ces zones rurales en déclin.
  • Il est issu de son propre terrain d'enquête et se place en « traducteur » le monde des enquêtés, et la sphère universitaire, urbaine et diplômée.

Une démarche scientifique, contre les expressions médiatiques et politiques grossières

La démarche de Benoît Coquard refuse les théories en vogue de « la France oubliée » et « périphérique », ou encore de « l'insécurité culturelle ». Il s'intéresse à des enquêtés plutôt assurés de leurs modes de vie et de leurs pratiques, jouissant d’une forte sociabilité et solidarité. Il étudie leurs rapports sociaux sous un prisme global, incluant notamment les mutations de l'ordre économique, alors que la néolibéralisation du capitalisme a désindustrialisé ces régions, abouissant à une augmentation du taux de chômage ainsi qu’un exode rural, et la dispersion des lieux de sociabilité. Sa démarche est proche de celle de Nicolas Renahy, dans « Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale », démontrant que les changements socio-économiques récents ont bouleversé le monde rural, ses classes populaires et en particulier sa jeunesse ouvrière.

Hypothèse sociologique : Une succession de changements globaux ont perturbé le fonctionnement régulier des sphères sociales rurales et leurs représentations. Toutefois, la sociabilité des campagnes en déclin continue d’être intense et vitale, se reconfigurant autour d’un mode de vie fondé sur l’interconnaissance et l’autonomie. Les campagnes en déclin voient leur centralité se déplacer vers les sphères privées plutôt que publiques, au sein desquelles la réputation est un impératif à sauvegarder, malgré l’essor d’un sentiment d’insécurité, et parfois même par la concurrence de nos proches.

La méthodologie

Benoît Coquard a mené une enquête ethnographique immersive → il construit un « cas limite » (C. Hamidi). Terrain d'enquête : cantons ruraux du Grand-Est entre 2010 et 2018. Près de 200 personnes interrogées, dont les 2/3 appartenaient à un même réseau de connaissances, et étaient ses propres connaissances. Il réalise une observation participante, rapportant l’usage du langage propre aux enquêtés entre guillemets. + Entretiens formels avec ceux qu’il connaissait moins bien, parfois contre-productifs, « braquant » les participants. = Les propos rapportés sont issus d'interactions quotidiennes ordinaires, au café ou dans la voiture, voire parfois en soirée. Les échanges sont prolongés et répétés, instaurant confiance entre B. Coquard et les enquêtés, notamment au près de ceux qu'il ne connaissait pas.

I) Le rôle clef des sociabilités amicales

A) Les sociabilités amicales demeurent des leviers d'intégration et de respectabilité, essentielles à la stabilité personnelle et professionnelle

B. Coquard met en lumière le rôle intégrateur essentiel que jouent les « bandes de potes », sur le plan matériel et symbolique. L’amitié et le savoir-vivre qui lui est accolé est un aspect central de la vie en milieu populaire rural. Ces sociabilités ne sont pas un simple espace de camaraderie mais se désignent par un “nous” voire un « déjà, nous » valorisateur. L'enjeu d'avoir « une bonne réputation » occupe une place centrale dans l’ouvrage. La réputation est la plupart du temps subie → en manque de ressources symboliques ou matérielles (en particulier de capital scolaire), les jeunes souffrent de leur image de "feignants", qui est aussi parfois celle de leurs parents. → Une partie d’eux se sentent donc “grillés” par une interconnaissance qui les déprécie.

A) Les sociabilités amicales demeurent des leviers d'intégration et de respectabilité, essentielles à la stabilité personnelle et professionnelle

La bande de pote est un moyen de se justifier de pourquoi on reste ici → tandis que Paris ou les grandes villes sont rejetées, décrites comme des lieux où prévaut l’isolement et où l’on ne maîtrise pas ses connaissances. Par ailleurs, les bandes de potes permettent une stabilité économique et une reconnaissance sociale durable. L’accès à un emploi est largement permis par des liens préexistants à l’embauche (construits au club de foot, au sein de la société de chasse, ou dans le voisinage). Mais cela suppose de remplir plusieurs critères → donner de son temps, participer aux moments festifs, rester disponible malgré les contraintes, telles que les relations conjugales ou la paternité.

B) Derrière les solidarités apparentes, de fortes logiques d’exclusion : comprendre qui sont “ceux qui partent” et pourquoi ils partent

  • Des sociabilités principalement masculines
Dans les sociabilités rurales, la femme est relégué à un rôle de second plan. Jeunes adultes, celles-ci n'entretiennent que des relations grâce à leur mari. La division des rôles est très genrée → Lors des réunions d’apéro, de fête, ou de repas « chez les uns, chez les autres », les femmes occupent un rôle d'hôtesse des sociabilités amicales. Il va de même pour les loisirs → les jeunes hommes, qui jouent dans les équipes locales de foot ou sont dans la société de chasse, occupent le beau rôle, tandis que les femmes n'ont pas ce rôle « principal ». Cela tient aussi à la nature de leurs emplois, souvent individuels, qui prennent place dans des lieux fermés → peu ancré dans le tissu local. Par ailleurs, leur contrat de travail sont davantage précaires. Les femmes ne sont pas exclues des “bandes de potes”, mais demeurent des « éléments secondaires », et détiennent une place sociale et une stabilité économique uniquement par le biais de leur mari. Ce n'est pas une preuve du stéréotypes de l’ouvrier rural machiste, mais qu’au contraire on y lit aussi l’inégal impact des mutations de l'ordre économique.

B) Derrière les solidarités apparentes, de fortes logiques d’exclusion : comprendre qui sont “ceux qui partent” et pourquoi ils partent

  • Exclusion et fuite des campagnes en déclin
Depuis les années 90, près d’⅓ des entrants sur le marché du travail partent des campagnes en déclin, sans y revenir par la suite. Pourquoi ? - Pour les études ?B. Coquard souligne que dans les campagnes en déclin, les longues études ne sont pas valorisées dans les discours. On y préfère les scolarités courtes et surtout concrètes (CAP, Bac Pro), qu’on oppose aux études longues de “ceux qui partent”, qui ne « savent rien faire de leur dix doigts ». Mais, l’histoire de « ceux qui partent », c’est aussi celle des précaires qui sont « grillés » dans leur territoire d’origine, du fait de la réputation de leurs parents, leur lieux de vie, des biens de consommation… et il est difficile de s’en défaire. Alors que la précarité s’auto-entretient et fait office de repoussoir pour les employeurs, les jeunes grillés souhaitent « tout claquer et se casser », mais se retouvent souvent dans une précarité intense, propice à la consommation d'alcool et de drogue, qui viennent encore aggraver la réputation.Les « mauvaises réputations » nous montrent que le « nous » des « bandes de potes » est très exclusif, et qu’il se construit autant par des valeurs communes que par des dynamiques de rejet communes.

A) Une transformation de la sociabilité...

II) La sociabilité rurale s'est tranformée, ainsi que ses modes de vie

La sociabilité des sphères rurales s’est transformée ces trente dernières années, et laisse place à une nostalgie masculine transmise par les aînés. Ces derniers racontent leur jeunesse marquée par un rapport insouciant à la police, aux règles administratives et où prévalait la confiance au sein de l’interconnaissance. Cette ère semble désormais révolue, une méfiance grandissante menaçant les logiques d’appartenance locales. → Les clubs de foot sont composés par logiques affinitaires et ne regroupent plus simplement les habitants d’une même localité. Les lieux de sociabilités ont aussi changé : → Les bistrots ont disparu, passant de 30 à 3 et de 30 à 1 dans deux cantons enquêtés entre 1979 et 2009, remplacés par des soirées « chez les uns les autres » → moins exposés au commérage et où le contrôle social est moins fort. Les bals se dépeuplent aussi massivement.

B) ... Ancrée dans des transformations économiques et sociales majeures

L’enquête de Benoît Coquard reconnaît une dynamique de long terme → celle de la désindustrialisation. La sphère du travail étant originellement la sphère sociabilisatrice, de nombreux espaces des cantons enquêtés se démarquent désormais par leur caractère lugubre, mort économiquement et d’où l’État se désengage. La désindustrialisation laisse place à précarisation et raréfaction de l’emploi, qui entraînent à leur tour un sentiment de méfiance et de concurrence entre individus = Perte de réciprocité entre individus. Si la structure économique a changé, les consciences, s’adaptent avec du retard à ces changements → manque d’empathie de la part des travailleurs ou des aînés quant à la question du chômage / augmentation de la consommation de drogues dures dans les couches les plus précaires, qui se considèrent “grillés” et foutus par leur “sale réputation” derrière le dos. Ainsi, l’auteur démontre largement que c’est pour des raisons économiques vitales plutôt que des différences culturelles ou un racisme latent qu’on lutte et qu’on se divise dans les classes populaires rurales, contrairement à ce que les sphères médiatiques pourraient laisser à croire.

B) ...Ancrée dans des transformations économiques et sociales majeures

Alors qu'il existe aussi des femmes parmi celles qui restent, celles-ci subissent les inégalités hommes/femmes d’une manière démesuré dans ces campagnes en déclin : haut taux de chômage, contrats précaires... Cumulant tâches domestiques et emplois précaires et chronophages, les femmes évoquent le stress permanent que représente le fait d’être précarisé économiquement, tout en devant « garder la face » face aux autres. Le désengagement de l'État a aussi pour conséquence de changer les représentations des individus vis-à-vis de celui-ci. Perdant la trace de leur impôt, ne remarquant aucun retour de celui-ci dans le financement de services publics à échelle locale, l’État incarne le principal frein avouable à leur prospérité économique. La classe politique est elle aussi pointée du doigt, classés dans la classe des riches “au-dessus des lois” et “méprisants”.

La contribution au savoir scientifique reste toutefois indéniable. Le travail de B. Coquard fait ici un travail d’utilité publique, démontant une certaine sociologie grossière. Mais, il semblerait que le livre ait été mal compris. B. Coquard fut constamment invité dans les médias à la suite de la réédition de son livre afin de parler du vote RN dans les campagnes. Cela reste toutefois un sujet secondaire de l'enquête. Il nous a semblé que l'auteur avait un peu joué le jeu de l’agenda médiatico-politique dans ses interventions.

Conclusion

1. Manque de matériaux empiriques ? → Peu d'annexes, peu d'extraits entiers d'entretien, mais uniquement des courtes phrases et des expressions notables parsemées au fil de l'analyse→ Il est donc difficile de procéder à une ré-interprétation des propos des enquêtés...2. Problème de l'enclicage ? (enfermement dans des groupes qui ferme les portes aux autres groupes) 3. Subjectivité du chercheur ? → Alors que le chercheur est issu du terrain enquêté, les stratégies de distanciation restent peu évoquées. Il répondra à cette critique dans sa postface de 2022, où il détaille son rapport à ces classes populaires rurales.

Critiques

Sources

  • BIZEUL, Daniel, « Coquard (Benoît), Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Paris, La Découverte, 2019, 216 p., 19 », Revue française de sociologie, vol. 61 / 2, 2020, p. 308‑311.
  • DE SARDAN, Jean-Pierre, “La politique du terrain”, Enquête, 1, 1995, p. 71-109.
  • HAMIDI, Camille, “De quoi un cas est-il le cas ? Penser les cas limites”. Politix, n° 100(4), 2012, 85-98.
  • TOMASELLA, Claire, « Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin », Sociologie du travail, Vol. 62 / 4, 2020.
  • BLAST, Le souffle de l’info, « Vote RN : plongée dans la France des campagnes », Chaîne YouTube BLAST, Le souffle de l’info, 21 juillet 2024.
  • Photographies : Alexa Brunet. « Les deux pieds sur terre ». (2018)