Want to create interactive content? It’s easy in Genially!
Chapitre 2 - Une Juste parmi les Justes : Irena Sendlerowa - 2024-2025
Gaelle Diot
Created on November 11, 2024
Start designing with a free template
Discover more than 1500 professional designs like these:
Transcript
2500
Chapitre 2
JUSTE PARMI LES NATIONS : IRENA SENDLEROWA ( 1910 - 2008 )
Son parcours de résistante à partir d'une de ses biographies, d’un biopic et d'une bande dessinée biographique
SOMMAIRE
Biographie et repères historiques
Les Mille vies d'Irena, Tilar J. Mazzeo (2016) - Extraits
Les Justes et Yad Vashem
Lexique de la bande dessinée
Le Docteur Janusz Korczak
Entraînement comparaison texte-image
Entraînement brevet facultatif
Etudes détaillées : un bébé dans une caisse à outils
Biographie et repères historiques
FRISE CHRONOLOGIQUE : DATES clés
Février 1917
Septembre 1939
Son père, médecin social dans les quartiers juifs, meurt du typhus.
L'Allemagne et la Russie envahissent la Pologne = Début de la Seconde Guerre mondiale
En 1935
Pages 57-58
Pour en savoir plus : L’INVASION DE LA POLOGNE À L’AUTOMNE 1939
Irena a des ennuis à l'école puis à l'université pour avoir défendu des Juifs. Elle sera suspendue trois ans.
1940
p. 29
Les Juifs sont rassemblés dans le ghetto de Varsovie et rationnés.
Page 58
Irena travaille pour l'aide sociale de la ville, dans la division chargée des mères et des enfants : cela lui permettra d'obtenir un laissez-passer pour entrer et sortir du ghetto.
Pages 46-47
1942
Les nazis mettent en place les camps de la mort et la "solution finale" : ils commencent à déporter les Juifs du ghetto, dont les 200 enfants de l'orphelinat dirigé par le Dr Janusz Korczak, ami d'Irena.
Couverture du tome 5
En décembre 1942
Pages 29, 34-35, 101-103, 313-318
Irena est nommée par Zegota pour diriger la section des enfants : elle prend le nom de Jolanta et avec l'aide de ses collègues et amis, elle parvient à faire sortir de très nombreux enfants juifs du ghetto.
Septembre /octobre 1942
Zegota est créé, le "Conseil d'aide aux Juifs", un réseau de résistance, qui agit à l'intérieur et en dehors du ghetto.
p. 10
Page 111
Pages 78-79
D'avril à mai 1943
Janvier 1943
Irena organise des "points de garde", lieux où sont cachés les enfants sauvés jusqu'à ce qu'on leur trouve une place.
Les SS et d'autres forces pénètrent dans le ghetto pour déporter 8000 personnes mais l'armée juive se rebelle et seulement 5000 Juifs sont évacués. La déportation est arrêtée pour quelques jours.
Pages 222-227
Octobre 1943
La Gestapo perquisitionne la maison d'Irena qui
est arrêtée et emmenée à la prison de Pawiak. Elle est torturée pendant plusieurs jours mais ne trahit personne malgré ses pieds et jambes fracturés.
Avril - mai 1943
La répression du soulèvement qui a commencé en avril prend officiellement fin en mai : 13 000 Juifs ont été tués durant cette période, 50 000 capturés et expédiés vers des camps d'extermination, dont Treblinka.
p. 117
Pages 56, 115, 123
Janvier 1944
Irena est condamnée à être exécutée mais Zegota soudoie un gardien. Libre et avec de faux papiers au nom de Klara Dabrowska, elle se cache.
Pages 180-181
1er août 1944
Pages 216, 277
L'insurrection de Varsovie débute. Les combattants de la résistance tentent de libérer la ville durant 63 jours mais ils échouent.
Août / septembre 1944
Irena est infirmière pour la Croix-Rouge pendant l'insurrection de Varsovie.
Pages 242-243
Page 277
17 janvier 1945
Janvier 1945
Irena transmet les noms des enfants sauvés et leurs adresses au Comité juif.
L' Armée rouge entre dans Varsovie. La guerre est finie.
Page 282
Page 312
Couverture du tome 3
1945
A l'hôpital, Irena s'occupe des enfants libérés d'Auschwitz.
Pages 286-295
1947
1989 Indépendance de la Pologne.
Irena épouse un militant clandestin et juif, Adam Celnikier (appelé Stefan Zgrzembski) avec qui elle a travaillé durant toute la guerre.
1949
Pendant la terreur stalinienne, elle est interrogée et échappe par miracle aux arrestations grâce à l'intervention d'une femme qu'elle a sortie du ghetto quand elle était enfant.
2004 La Pologne rejoint l'Union Européenne.
Pages 273, 283, 285 321
1965
Irena est l'une des premières Justes à être honorées par le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem pour ses actes héroïques durant la guerre. Les autorités communistes ne lui permettent pas de se rendre en Israël pour recevoir son prix.
Page 216
1983
Irena se rend à Jérusalem.
Pages 152, 199, 266, 272
1991-2009
Irena reçoit de nombreux prix pour ses nombreux actes de bravoure et de générosité.
p. 274
Les Justes et Yad Vashem
Irena et les enfants : L'ange du ghetto
Un destin à l'origine de la bande-dessinée : l'interview d'Irena Sendlerowa
Couverture de la bande dessinée intégrale :
Irena, l'ange du ghetto
scénario de Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël et dessins de David Evrard (2021)
Pour en savoir plus sur les auteurs
pp. 8 et 9
pp. 10, 11 et 12
Dès l'ouverture du ghetto en novembre 1940, Irena croise de très nombreux enfants, pour certains orphelins qui vivent dans la plus grande des misères. Comme son père, elle ne se soucie pas de leur religion qui est différente de la sienne (Irena est catholique) et elle leur vient en aide avec ses collègue du Comité d'aide sociale, toléré et financé par le régime nazi.
LES JUSTES DAns le réseau d'irena
Les travailleurs sociaux
p. 12
Irena, Antoni et Shepsi
pp. 78, 79, 80
Les assistantes sociales et infirmières (dont Irka, Ewa, Stefania, Jadwiga, Jaga, Maria et Ala) ont organisé des distributions de nourriture et de vêtements, des vaccinations contre le typhus à l'intérieur du ghetto et bien sûr des extractions d'enfants. En 1942, le mouvement résistant Żegota les aide à mener leurs actions.
Maria
LES JUSTES dans le réseau d'irena
DEs polonais CATHOLIQUES ET JUIFS QUI AIDENT A L'EXFILTRATION
pp. 78, 79, 80
LES JUSTES dans le réseau d'irena
DEs citoyens polonais QUI Accueillent et cachent les enfants
Les enfant exfiltrés sont cachés dans des églises, chez des familles d'accueil où on les fait passer pour catholiques, dans des orphelinats, et même plus tard, dans le zoo de Varsovie...
p. 80
p. 144
irena à yad vashem (1983)
Yad Vashem
« Je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un monument et un nom ("yad vashem")... qui ne s'effacera jamais. » Isaïe, chapitre 56, verset 5, Ancien Testament
Etabli en 1953 par une loi de la Knesset (Parlement israélien), Yad Vashem - l'Institut international pour la mémoire de la Shoah – s’est vu confier la noble tâche de commémorer, documenter, rechercher et enseigner la Shoah. Parmi ses missions : perpétuer la mémoire des six millions de Juifs assassinés par les nazis et leurs collaborateurs, celle des communautés juives détruites, ou des combattants des ghettos et des mouvements de résistance. Mais aussi, rendre hommage aux Justes parmi les Nations, ces non-Juifs qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs durant la Shoah. Situé sur le Mont du souvenir à Jérusalem, le site de Yad Vashem s'étend sur près de 18 hectares.
Pour en savoir plus : Yad Vashem
Tome 5, page 271 et 274
Les enfants d'Irena après la guerre
Tome 3, pages 139 et 140
Les enfants d'Irena après la guerre
Tome 3, pages 141 et 142
Le Docteur Janusz Korczak
Source : Wikipédia
Janusz Korczak et Irena sendlerowa
Au péril de sa vie, il a dirige l’orphelinat Dom Sierot (= la Maison des Orphelins) au cœur du ghetto pour s’occuper de centaines d’orphelins.
Pour les besoins de la cause, Irena rencontre une gloire nationale. Le docteur Janusz Korczak faisait de la radio dans les années 1930.
Enfants et l'équipe de l'orphelinat Nasz Dom à Pruszkow
Sa philosophie était simple : " Ici ou ailleurs on ne vit que dans l’attente de la mort, et plus elle est proche, plus il faut essayer de s’amuser. Se morfondre à l’idée de sa fin prochaine, c’est comme mourir deux fois. "
L'autogestion, un principe de la pédagogie du Docteur KorczakEléments biographiques ( 1 )
Eléments biographiques ( 2 )
Un précurseur de la réflexion sur les Droits des Enfants : Emission de radio : " Janusz Korczak : la parole est aux enfants "
Irena - Les Justes, Tome 2 (page 102)
Les deux résistants s’entendent pour sauver des enfants du ghetto. Le " Vieux docteur " a accepté par exemple d'accueillir 32 d'entre eux qui avaient été évacués du ghetto avant que Jan Dobraczyński, un des responsables des services sociaux de Varsovie, ne les y renvoie.
Janusz Korczak choisit délibérément d’être déporté vers Treblinka avec les enfants juifs de son orphelinat.
Une place porte son nom à Yad Vashem, à Jérusalem.
p. 271
Sculpture de Boris Saktsier
Ecrivain, médecin, éducateur et pédagogue engagé, il a écrit de nombreux ouvrages.
- La Gloire (1912 – roman) - des romans pour enfants : Le Roi Mathias Premier (1922) ; Le Roi Mathias sur une île déserte (1923) - des contes : Kaytek le magicien (1934) - des essais sur l’enfance : Comment aimer un enfant, suivi de Le Droit de l’enfant au respect (1929) ; Les Règles de la vie. Pédagogie pour les jeunes et les adultes (1929) - son Journal du ghetto (1942)
p. 106
Culture ciné : Trailer du film Korczak de Andrzej Wajda (1989)
Etudes détaillées : un bébé dans unE Caisse à outils
Dans le film
Minute
Dans la bande dessinée
Pages 94 à 98
SEQUENCE COMPlète de la bande desinée
Un bébé dans une caisse à outils
Dans la biographie
Pages 158
Maintenant, elle voit Henia qui presse sa petite fille endormie contre son coeur et l'embrasse éperdument, comme pour s'imprégner de son parfum. Sur les joues de la jeune mère coulent les larmes irrépressibles. Il faut faire vite, sans quoi le couple risque de faire machine arrière. Certains jours, Irena elle-même est tentée de renoncer ; au moment où elle tend les bras pour prendre la petite, la mère a un mouvement de recul, plongeant dans les siens ses yeux verts implorants. Irena sent ses larmes monter. Les deux femmes échangent un long regard. Alors Irena prend l'enfant, la serre doucement contre elle, puis vérifie d'une main posée sur sa poitrine qu'elle ne respire pas trop faiblement. Elle hoche la tête. Le sédatif est en train d'agir. La main de Henia lâche sa petite fille et retombe. Irena promet de nouveau. Oui, dès qu'elles seront en sécurité, elle fera passer un message pour avertir la famille. Elle promet aussi que la petite cuillère en argent gravée aux initiales de l'enfant suivra Elżbieta partout, quoi qu'il arrive. Irena et Henryk, jeune maçon et gendre d'une de ses collaboratrices qui la seconde dans cette mission, doivent maintenant agir vite. Il faut faire sortir la petite fille du ghetto. Après l'avoir allongée dans une caisse à outils en bois, Irena l'enveloppe fermement dans une couverture, en s'assurant qu'elle a assez d'air pour respirer, puis elle referme le couvercle et fait pivoter le petit crochet de sécurité. Une fois dehors, Henryk glisse adroitement la caisse entre deux piles de briques entassées sur la plate-forme de son camion. Grâce à son patron, la dernière recrue du réseau dispose d'un laissez-passer. Irena s'installe sur le siège passager, Henryk lui adresse un sourire crispé et le véhicule démarre péniblement. La jeune femme s'inquiète à l'idée que les tas de briques puissent s'effondrer sur la caisse à outils. Sans un mot, ils roulent en direction de la rue Nalewki, longeant les boulangeries fermées et les panneaux de circulation rouillés d'une grande avenue bourdonnante. Devant les petits immeubles errent des gens affamés, en haillons. Et voilà le poste de contrôle de la rue Nalewki. Zut. Cet après-midi, la file d'attente paraît interminable. C'est la phase la plus dangereuse de l'équipée. Comme tous les jours. Les minutes s'égrènent. La tension atteint des sommets. Les mains d'Irena, agrippées à la poignée de la portière, sont moites et glacées. Comme si elle avait la moindre chance de fuir... Du poste de contrôle, on ne revient pas. Enfin un soldat leur fait signe d'avancer. Henryk lui tend les laissez-passer avec un sang-froid impressionnant. La sentinelle les scrute tour à tour, attentivement, avant de demander d'un ton défiant : Il y a quoi à l'arrière ? Cette fois, Henryk bredouille une réponse maladroite. Leur dernière heure est arrivée, se dit Irena. A force de narguer le destin... Henryk descend lentement de son siège et se dirige vers l'arrière du camion. Irena se raidit. Elle entend le bruit des lourds volets qu'on ouvre et qu'on referme. Monté sur le plateau, le militaire donne des coups de pied et de crosse dans les gravats, les sacs de grosse toile, explore chaque recoin. Irena retient son souffle. Une minute plus tard, Henryk vient se rasseoir à sa place et on leur fait signe d'avancer. La voie est libre. Arrivé côté aryen, le camion s'arrête à un coin de rue. Irena serre en silence le bras de son camarade. Si soulagée. Tu vas pouvoir continuer tout seul, Henryk? Ce sera moins risqué. Le garçon acquiesce. Irena descend et lui fait au revoir de la main avant de partir dans une autre direction. Il ne reste plus qu'à conduire la caisse à outils et son précieux contenu à la belle-mère de Henryk.
les mille vie d'irena de TILAR J. mazzeo (2016)
Extraits de la biographie d'Irena
Irena, guidée par les idées et l'amour de son père (chapitre 1)
Żegota (chapitre 11)
Les études d'Irena et son soutien à la communauté juive (chapitre 2)
Janusz Korczak et les enfants de l'orphelinat : déportation à Treblinka (chapitre 8)
19 octobre 1943 - Irena face à la Gestapo (chapitres 14 et 15)
Le ghetto de Varsovie (chapitre 3)
Les précieux laissez-passer (chapitre 4)
Les petits papiers (chapitre 17)
Irena Sendler a été, dira un témoin, "l'étoile la plus brillante qu'ait connue le ciel noir de l'occupation ". Une étoile qui n'en finit pas de luire.
Page 349
Irena, guidée par les idées et l'amour de son père (chapitre 1)
L'engagement politique et humaniste
L'engagement d'un médecin au service de la santé de tous
Le Dr Krzyżanowski [...] accueille tous ses patients avec une égale gentillesse, un sourire chaleureux, sans guère se préoccuper de leur solvabilité. Les Juifs composant près de la moitié de la population locale, son cabinet ne désemplit pas. Bientôt, chacun à Otwock vante la gentillesse du praticien, et nombre de Juifs de la communauté, pauvres ou plus aisés, viennent consulter ce médecin [...].
Radicales pour l'époque, les thèses du Parti socialiste polonais nous sembleraient aujourd'hui modérées : Stanisław Krzyżanowski lutte pour instaurer une véritable démocratie, l'égalité des droits, une médecine accessible à tous, la réduction à huit heures de la journée de travail et l'interdiction du travail des enfants, si destructeur. Au début du XXe siècle, dans un monde encore marqué par les traditions féodale et impériale, ces positions politiques paraissent révolutionnaires à beaucoup. Son rôle de meneur dans le déclenchement de diverses grèves et manifestations vaut au jeune Stanisław d'être renvoyé de l'université de Varsovie puis de celle de Cracovie. Il ne cessera pas la suite d'insister sur l'importance du combat à mener contre les injustices et la misère : "Quand quelqu'un se noie, il faut lui tendre la main." Irena entendra souvent ce genre de phrase dans la bouche de son père.
" J'ai grandi avec ces gens, confiera plus tard Irena. Leur culture et leurs traditions ne m'étaient pas étrangères."
Page 29
En 1916, alors qu'elle a six ans, [...] une épidémie de typhus se déclare à Otwock et comme l'aurait sans doute dit le Dr Krzyżanowski, il n'est pas question de refuser de tendre la main pour la seule raison que le geste est risqué. [...] Stanisław continue à traiter les patients atteints de typhus, comme à l'accoutumée.
Page 31
L'engagement social
Pourquoi l'action sociale ? Quand on lui pose la question, elle évoque son père. Il lui manque, lui a toujours manqué. " Mon père était un médecin, un humaniste, et ma mère, qui aime les gens, l'aidait beaucoup dans son travail social. On m'a appris depuis mon plus jeune âge qu'il existe deux catégories d'êtres : les bons et les mauvais. Leur race, leur religion, leur nationalité importent peu ; ce qui importe, en revanche, c'est la personne elle-même. C'est une vérité qu'on m'a inculquée dès l'enfance." Pour renforcer le lien avec son père, Irena va donc s'efforcer d'incarner l'idée qu'il se faisait d'une bonne personne.
Page 39
Page 27
Les études d'Irena et son soutien à la communauté juive (chapitre 2)
Irena suspendue
A l'université de Varsovie : le "ghetto des bancs"
Le cours est terminé mais le professeur ne bouge pas. Pas plus que les étudiants à gauche de la salle qui, pétrifiés, retiennent leur souffle. Irena est assise parmi eux. En cet automne 1935, elle a vingt-cinq ans et avec son mètre cinquante, c'est la plus petite de la classe. Mais tous ses camarades connaissent son caractère fougueux et ses opinions politiques tranchées. Ces quelques secondes s'étirent lentement. Tout le monde attend. Soudain, dans les rangées de droite un mouvement brusque, suivi d'un bruit sourd de deux corps qui se jettent l'un contre l'autre. En un éclair, Irena aperçoit le ruban vert épinglé au revers de la veste d'un jeune homme. L'extrémité de sa canne brandie scintille dans la lumière. Des lames de rasoir ! Ces salauds ont fixé des lames de rasoir aux extrémités de leurs cannes ! Irena est stupéfaite. Une jeune fille à côté d'elle pousse un cri, que prolonge une nouvelle mêlée. Les poings américains frappent encore et encore. A côté d'elle, un type à l'insigne vert agite une canne au-dessus d'un camarade, un étudiant juif aux cheveux sombres et bouclés, chaussé de lunettes : "Pourquoi est-ce que tu te rebelles ?" Réplique instantanée : "Parce que je suis juif." Se tournant vers Irena, la brute lui jette : "Et toi, pourquoi tu te rebelles ?" Irena n'a pas peur. Ses amis redoutent son intrépidité et sa tendance à prendre des risques irréfléchis. Ses professeurs les plus conventionnels se plaignent de son idéalisme juvénile, de son caractère opiniâtre et frondeur. Précisément les qualités qu'Adam1, lui, adore chez elle. Irena soutient le regard qui la nargue et répond : "Parce que je suis polonaise !" Le poing armé s'écrase sur son visage. [...] L'essor rapide de l'extrême droite ne concerne pas seulement l'Allemagne voisine ; la Pologne traverse elle aussi une période de tensions sociales et politiques [...] : le problème numéro un se présente sous la forme d'une organisation appelée ONR - Obóz Narodowo-Radykalny, c'est-à-dire Camp national radical" : un parti politique ultra-nationaliste dont l'idéologie raciste et les méthodes brutales exercent un puissant attrait sur une partie de la population et attisent un antisémitisme qui ne cesse d'empirer. Les partisans de l'ONR se signalent par le port d'un ruban vert.
Prenant des distances de plus en plus marquées avec un ménage qui bat de l'aile, Irena se rapproche de ses nouveaux amis et d'Adam. Elle est aussi plus engagée que jamais sur le plan politique. Ce qui veut dire agir, et pas seulement parler. Que faire ? [...] Elle commence par décréter inadmissible la mention "aryenne" apposée sur sa carte d'étudiante et la gratte pour l'effacer. Lorsqu'elle présente le document corrigé par ses soins, l'administration de l'université, informée de sa rébellion, décide de réagir fermement et d'évincer au plus tôt la fauteuse de troubles. Irena se voit signifier sa suspension pour une durée indéterminée.
Page 51
Son entrée dans les services sociaux
Avec l'aide de Helena Radlińska2, elle trouve rapidement un emploi aux services sociaux de la ville et annonce à Mietek3 sa décision de rester à Varsovie.
Page 39
1. Adam Celnikier deviendra son amant puis son second mari. Il prend le nom de Stefan Sgzrembski durant la guerre 2. Helena est professeure à l'université libre. 3. Mieczysław "Mietek" Sendler est son premier mari.
Pages 46-47
Le ghetto de Varsovie (chapitre 3)
L'ouverture du ghetto - fin octobre 1940
Aux portes du ghetto, de longues files de Juifs attendent la permission d'entrer. Des soldats allemands armés et vociférants s'attachent à maintenir l'ordre. La tête chargée de baluchons contenant rideaux et couvertures, de jeunes mères portent des valises pleines à craquer et souvent des petits enfants. Les camionnettes et les voitures sont rares et, de toute façon, déjà interdites aux Juifs. Les transports à l'intérieur du secteur juif se font souvent sur des charrettes à bras ; les familles déplacées sont forcées de laisser derrière elles nombre de leurs objets les plus précieux ou les plus chers. [...] Tous les amis juifs d'Irena appartenant à l'université libre polonaise ou aux services sociaux sont eux aussi déracinés et dépouillés : Ewa Rechtman ; Ala Gołąb-Grynberg et sa fille ; le Dr Hirszfeld ; l'avocat Józef Zysman, sa femme Theodora et leur petit Piotr. Sans compter la mère d'Adam, Leokadia Celnikier, son épouse et sa belle-famille.
Pages 83-85
En tout état de cause, si répressives soient les nouvelles mesures, beaucoup de membres de la communauté juive pensent qu'ils seront plus en sûreté à l'intérieur du ghetto, séparés des Allemands et de l'antisémitisme de leurs voisins polonais. On se rassure mutuellement en arguant que les changements seront mineurs. On veut croire que, comme dans les ghettos du Moyen Âge, les portes ne seront fermées que la nuit, chacun restant libre de vaquer à ses affaires pendant la journée. [...] Si le ghetto reste ouvert, où est le danger ?
Page 87
Interdiction de sortir du ghetto - Décret du 15 novembre 1940
Le samedi 16 novembre 1940, les familles juives qui se rendent discrètement au shabbat clandestin organisé dans des caves ou des greniers découvrent ébahies que, au cours de la nuit, les portes du ghetto ont été verrouillées. Personne n'a vu venir le coup. Il est désormais interdit aux Juifs de franchir cette enceinte, officiellement pour prévenir les risques épidémiques dont une campagne d'affichage ignoble, aux quatre coins de Varsovie, les rend responsables. Au début, malgré la présence des gardes allemands, polonais et juifs aux points de contrôle, les barricades demeurent quelque peu poreuses. Tout l'après-midi et pendant quelques jours, le ghetto va rester à demi-ouvert. Le week-end suivant, l'information ayant circulé dans la capitale, des Polonais, amis ou anonymes, s'amassent en nombre devant le mur, chargés de pains et de bouquets de fleurs. [...] Bientôt, le périmètre du ghetto va devenir strictement étanche et les cerbères se montrer intraitables. Les denrées alimentaires s'épuisent, la hausse des prix est vertigineuse, d'autant que les gardiens confisquent les produits enoyés aux habitants. Irena apprend, consternée, que les rations allouées à ses amis juifs sont officiellement limitées à 184 calories par jour. Respecter la loi, c'est se condamner à mourir de faim. Des réseaux ne tardent pas à mettre en place un système d'approvisionnement clandestin en utilisant des gamins assez agiles pour escalader le mur d'enceinte. Les Allemands répliquent en déployant des barbelés et le sommet du mur, toujours en construction, se hérisse de tessons de bouteilles. Ils n'hésitent pas non plus à abatrtre les enfants qui parviennent à se faufiler dans les brèches.
Pages 91-93
Les précieux laissez-passer (chapitre 4)
C'est un médecin polonais, le Dr Juliusz Majkowski, qui s'est chargé des démarches nécessaires à l'obtention des laissez-passer. Irena l'a rencontré à l'université dans la mouvance du Dr Radlińska, et il appartient déjà à un groupe de résistants liés à son ancien professeur. Le Dr Majkowski est surtout responsable du service municipal d'hygiène publique, chargé notamment de la lutte contre les épidémies et de l'élimination des foyers infectieux. Il n'a eu qu'à ajouter à la liste des employés autorisés les noms d'Irena, Irka, Jadwiga et Jaga, pour qu'elles disposent du sauve-conduit les autorisant à franchir à volonté les points de contrôle. Terrorisés à l'idée d'être contaminés par l'infection qui ravage le ghetto, les Allemands délèguent volontiers les tâches sanitaires aux Polonais. Aux portes du ghetto, des unités SS, fusil sur la hanche, scrutent les papiers d'Irena et la bombardent de questions avant de lui ouvrir le passage en braillant. Elle s'efforce toujours d'afficher une parfaite impavidité. En théorie, d'ailleurs, il n'y a pas grand péril à entrer et sortir du ghetto l'après-midi, une fois achevé le travail administratif du bureau d'aide sociale. Après tout, même si son rôle paramédical est tout à fait fictif, ses papiers sont parfaitement en règle et malgré l'étoile de David qu'elle arbore en signe de solidarité avec ses amis, elle n'est pas juive. Personne ne s'est encore demandé pourquoi cette jeune femme franchissait plusieurs fois par jour les portes du ghetto, en prenant soin de ne jamais passer deux fois par le même poste de contrôle. A l'intérieur, on crève de faim. Les prix des denrées alimentaires introduites en contrebande sont prohibitifs et les Juifs n'ont le droit de posséder que quelques milliers de słotys. [...] Bien sûr, Irena fait de la contrebande, mais elle ne peut transporter sur elle que de petites quantités. C'est pourquoi il lui faut multiplier les passages pour apporter quelquefois de la nourriture, d'autres fois de l'argent. Il arrive aussi, plus inattendu, qu'elle apporte des poupées que l'un de ses anciens professeurs, le Dr Witwicki, passe ses journées à sculpter pour les plus jeunes protégés du Dr Korczak, qui dirige l'orphelinat du ghetto. Chaque fois qu'elle le peut, elle achemine des flacons de vaccin qu'elle remet à Ala Gołąb-Grynberg ou Ewa Rechtman. Au début, la punition encourue pour une telle infraction se traduit par une arrestation et un envoi dans un camp de concentration. Mais, cet hiver-là, des affichettes placardées dans tout Varsovie informent la population que ceux qui aideront des Juifs, et en particulier les nourriront, seront exécutés sommairement.
Pages 103- 105
Żegota (chapitre 11)
Le département d'aide sociale n'a plus d'argent car les Allemands lui ont coupé les vivres. Irena réfléchit dans son bureau à la façon dont elle va pouvoir financer er ses actions de sauvetage lorsque sa collègue Stefania Wichlińska lui dit connaître quelqu'un qui pourrait l'aider à cacher des enfants juifs. Irena, il faut que tu te rendes au 24, rue de Żurawia, au troisième étage, appartement 4, et que tu demandes "Trojan".[...] Devant l'immeuble anonyme, à l'est du ghetto, Irena lit le nom sous la sonnette de l'appartement qu'on lui a indiqué : Eugenia Wasowska. Elle frappe à la porte et murmure le mot de passe : Trojan. Une femme rougeaude aux cheveux gris lui ouvre la porte d'un vaste appartement, plongé dans la pénombre. Les rideaux tirés ne laissent pas filtrer la moindre lumière. Un homme lui fait signe d'entrer. La femme est fébrile, ce qu'Irena trouve étrangement rassurant. Elle s'appelle Halina Grobelny, comme elle l'apprendra par la suite. Halina la guide à travers une enfilade de pièces jusqu'à un petit bureau, tout au fond de l'appartement. Elle présente "Jolanta" à "Trojan", alias Julian Grobelny, son mari. Le chef du mouvement Żegota1. [...] Est-elle tombée dans un traquenard de la Gestapo ? Ce couple travaille-t-il pour les Allemands ? Il faut parier, comme toujours. Irena ne peut pas savoir que son amie Stefania est agent de liaison dans l'Armée de l'intérieur. Julian comprend l'hésitation d'Irena et se découvre le premier, en lui livrant les arcanes de Żegota. La coopération avec le RGO2 est déjà effective, explique-t-il. Aleksandra Dargielowa dirige la nouvelle unité consacrée à la protection des enfants et le mouvement se place maintenant sous les auspices de l'Armée de l'intérieur. Contact a été pris, ajoute-t-il avec une amie d'Irena à l'intérieur du ghetto, Ala Gołąb-Grynberg. Irena et sa cellule accepteraient-elles d'intégrer le réseau ? Nous n'interférerons pas dans vos opérations. C'est tout ce qu'Irena veut entendre. Żegota reçoit des fonds parachutés à Varsovie avec des agents venus de Londres et le réseau sait que le groupe d'Irena est à court d'argent. Żegota entend contribuer au financement de ses opérations. [...] Grâce à cet argent, ils vont pouvoir planifier davantage d'opérations. Et, surtout, continuer à verser aux familles d'accueil les petites sommes dont elles ont besoin pour survivre. [...] Julian explique qu'il existe, disséminées dans toute la capitale, des boîtes aux lettres secrètes où elle trouvera des enveloppes de billets et des messages. Bien sûr, "Jolanta" sera toujours la bienvenue dans l'appartement de la rue Żurawia, une des "planques" du mouvement.
Pages 231-233
1. Konrad Żegota n'existe pas : ce nom a été inventé pour que les nazis ne trouvent jamais le chef du mouvement 2. = Rada Glowna Opiekuncza = conseil général de protection, organisme d’aide sociale.
Janusz Korczak et les enfants de l'orphelinat : déportation à Treblinka (chapitre 8)
Ce matin-là, en prélude à la liquidation complète du "petit ghetto", les SS se présentent à l'orphelinat du Dr Korczak, exigeant que leur soient remis les deux cents enfants dont il a la garde. Parmi eux, les trente-deux garçons et filles que Jan Dobraczyński a fait revenir clandestinement moins d'un an auparavant. Des enfants qu'Irena considère comme les siens. [...] En arrivant rue Sienna, elle espère encore qu'il n'est pas trop tard pour avertir le Dr Korczak et lui venir en aide. Peine perdue. Les SS sont sur les lieux depuis un bon moment. Avec des consignes strictes. "Personne n'avait le droit d'accompagner les enfants", dira un témoin. Un quart d'heure a été laissé au vieux médecin pour les préparer, mais celui-ci a obstinément refusé de se séparer de ses pensionnaires. "On n'abandonne pas un enfant malade la nuit, répète-t-il sur un ton qui masque difficilement sa rage, et on n'abandonne pas des enfants dans un moment pareil." Dans un éclat de rire, l'officier SS finit par accepter que Korzack soit du voyage. Après tout, s'il y tient tant... Au moment de partir avec le petit cortège, l'Allemand demande d'un ton badin à un gamin de douze ans qui porte un violon de jouer un air. Les enfants quittent l'orphelinat en chantant. [...] La jeune femme comprend que Korzack les a laissés dans l'ignorance de ce qui les attend, chassant en eux toute peur. [...] Le Dr Korzack tâche de ne rien montrer de ce qu'il ressent, chose d'autant plus difficile qu'il est malade, Irena le sait. Droit comme un i, il marche, portant même sur un bras un bambin épuisé. Est-ce une vision ou un rêve ? se demande Irena. Est-ce qu'une chose pareille est possible ? De quoi ces enfants sont-ils coupables ? Son regard croise celui de Korzack, qui ne s'arrête pas pour la saluer. Il ne sourit pas, ni ne prononce un mot. Il marche. Les enfants avancent en rangs de quatre, parfaitement disciplinés dans leurs beaux uniformes bleus. Dans les mains des petis, Irena reconnaît les poupées en terre glaise que Władysław Witwicki, son vieux professeur de psychologie, leur a fabriquées. [...] "Serrant les poupées dans leurs petites mains, les pressant contre leur coeur, ils accomplissent leur dernière promenade", écrira Irena. Elle connaît leur destination. La gare de marchandises, puis Treblinka. Arrivés sur l'Umschlagplatz, les enfants sont guidés vers la zone de confinement, souvent à coups de cravache ou de crosse. Des policiers allemands, ukrainiens et juifs hurlent des ordres. Sous un soleil de plomb, déshydratés et terrorisés, les petits vont attendre jusqu'au soir avec Korzack le chargement des wagons. [...] Korzack fixe longuement Nachum1, un regard qui le hantera à jamais. Puis le vieil homme et Stefania tournent le dos au ghetto, guident calmement les enfants vers le wagon et grimpent derrière eux. [...] Nachum voit ainsi les enfants embarquer sans un mot dont les wagons aveugles dont le plancher a été recouvert d'une couche de chaux vive qui rongera leurs chairs ; les lourdes portes se referment sur les petits corps entassés et pressés les uns contre les autres, avant d'être soigneusement plombées. Alors, sur le quai, le jeune acteur et faux médecin fond en larmes.
Pages 182-185
1 Nachum Remba est employé au Judenrat, le Conseil juif. Acteur, il se fait passer pour un médecin juif et a sauvé des centaines de Juifs de la déportation vers Treblinka, avec Ala Gołąb-Grynberg.
19 octobre 1943 - Irena face à la Gestapo (chapitres 14 et 15)
L'arrestation
Le premier interrogatoire, avenue Szucha
Après quelques minutes d'attente, Irena est conduite dans une pièce où un grand Allemand lui pose quelques questions dans un polonais parfait, avec des manières douces et avenantes. Irena n'a aucun doute sur ses intentions. Un prédateur comme les autres. Comment s'appelle-t-elle ? Où habite-t-elle ? Des parents, des enfants ? A ces questions faciles, la Gestapo connaît déjà les réponses. Mais très vite l'interrogatoire se fait plus pressant et périlleux. Nous savons que vous aidez la résistance et les Juifs, madame Sendler. Pour quelle organisation travaillez-vous ? Dites-le nous, ça vaudra mieux pour vous. Ils sont sur les traces de Julien Grobelny, qu'ils ne connaissent que sous son nom de code, "Konrad Żegota". Ils savent que la blanchisserie sert de boîte aux lettres clandestine. L'homme a devant lui un dossier d'une épaisseur qui effraie Irena. Elle prie pour qu'ils n'aient pas entendu parler d'Adam. Elle soutient qu'elle ne sait rien. C'est un affreux malentendu. Elle est assistante sociale de son état, ce qui la met bien sûr en contact avec beaucoup de gens. Et si l'un de ses collègues a eu des activités répréhensibles, elle n'est pas au courant.
Peu après trois heures du matin, des coups violents sont frappés à la porte. Par chance, Janina est déjà réveillée - ses problèmes cardiaques l'empêchent beaucoup de dormir - et elle a prévenu sa fille [...]. Vite, vite, mon Dieu... Que faire ? Elle balaie la pièce d'un coup d'oeil désespéré. Pas le moindre recoin où cacher les listes. Les coups dedoublent à la porte, sur le point de céder. En désespoir de cause, Irena se tourne vers Janka : C'est la liste des enfants, cache-la quelque part ! Sauve-la ! Il ne faut pas qu'elle tombe entre leurs mains ! Janka enfouit les listes dans son soutien-gorge, juste au moment où la porte d'entrée vole en éclats. Quatre agents de la Gestapo déboulent dans le modeste logement. [...] Déchaînés, ils aboient menaces et ordres, brisent tout sur leur passage. Manifestement, ils cherchent des documents cachés, dans le poêle, sous le plancher, dans les placards qu'ils vident puis renversent par terre. Ce mode opératoire est destiné à terroriser et cela fonctionne. La fouille va durer trois longues heures. Irena ne croit pas aux miracles et pourtant, lorsque les hommes de la Gestapo commencent à déchiqueter le matelas de fortune sur lequel elle a dormi, elle voit l'armature métallique qui retombe lourdement sur le cartable bien en vue où sont dissimulés papiers d'identité et argent liquide... Irena n'en revient pas. Les Allemands viennent de masquer les plus accablantes de toutes les preuves qu'ils cherchent.
Page 297
Pages 293-294
Les violences du premier jour
La prison de Pawiak
A Pawiak, pressée par un gardien, Irena descend un large escalier de pierre qui mène aux cachots. Ceux qui ne peuvent se tenir debout sont traînés, et quelques infirmiers au visage dur s'activent à sortir les plus mal en point sur des brancards militaires. Officiellement, la prison de Pawiak est réservée à l'intelligentsia : politiques, intellectuels, étudiants, médecins, responsables de la résistance et des universités clandestines. Mais, en pratique, il s'agit de ce qu'on appellerait aujourd'hui un "site noir", une geôle fonctionnant hors de tout contrôle légal. [...] Irena comprend vite qu'il n'y a ici d'autre issue que la mort. [...] A Pawiak, elle retrouve de vieux amis et des camarades de lutte. Ainsi Basia Dietrich, dont elle presse silencieusement la main dans l'obscurité de la cellule. Elles réussissent même à échanger quelques mots, longtemps après que tout le monde s'est endormi. [...] Le lendemain matin, elle retrouve encore JadwigaJędrzejowska. Vivante ! Irena n'en revient pas. Jadwiga est une autre des anciennes élèves de Mme Radlińska. [...] Si étonnant que cela puisse paraître, une cellule de résistance s'est reformée au sein même de l'établissement pénitentiaire, dont Jadwiga est partie prenante. A l'origine de cette initiative figure Anna Sipowicz, dentiste, et son mari Witold, médecin, ainsi que Zygmunt Sliwicki, également médecin, et son épouse Anna, l'infirmière en chef de la prison. Tous quatre membres de la résistance polonaise, dont deux femmes d'à peine plus de trente ans prêtes à risquer leur vie.
Une autre tradition a cours ici. Le jour de leur arrivée, les prisonners subissent un passage à tabac en règle. Souvent, une seule séance suffit et, dès le deuxième ou troisième jour, beaucoup de captifs se montrent plus dociles et coopératifs. Irena n'évoquera jamais les violences subies ce jour-là ou les suivants, mais d'autres se rappelleront avec horreur les traitements qu'on leur a infligés : coups de poing et de botte au visage qui font saillir les globes oculaires de leurs orbites ; lourdes mattraques brisant les os des bras et des jambes ; chairs de la poitrine ou du visage brûlées à la barre de fer chauffée à blanc ; épaules disloquées. Les détenus sanguinolents sont ramenés en cellule où ils doivent attendre sur un banc le camion bâché qui les rémènera à Pawiak. Le 20 octobre 1943, parmi ces corps meurtris et disloqués, il y a celui d'Irena. Au bout de cette première journée d'interrogatoire, dans l'obscurité du fourgon cellulaire qui file à travers les rues de la capitale, elle tente d'extirper la peur et la souffrance de son esprit tandis que la sirène hurle sans discontinuer. Le moindre mouvement est atrocement douloureux.
Page 301
Page 299
Le message de Żegota
Torture
Pendant les jours et les semaines suivants, Irena subit plusieurs interrogatoires à Szucha. Certains matins, quand on appelle ceux qui vont être torturés, le coeur d'Irena se fige d'angoisse. Ces séances répétées la laissent bientôt invalide, jambes et pieds fracturés, avec de vilaines plaies ouvertes qui hachurent tout son corps. De ces sévices, elle gardera à jamais de lourdes séquelles. La seule raison pour laquelle Irena n'a pas été battue à mort pendant sa détention, c'est que les Allemands ignorent l'importance de leur prisonnière. La Gestapo la considère comme une prise secondaire, une jeune femme inconsciente au rôle très accessoire, en marge de la résistance. Ils sont loin d'imaginer avoir capturé l'une des principales responsables d'un réseau qui a exfiltré des milliers d'enfants juifs désormais cachés dans toute la ville.
Au deuxième jour de sa détention, à neuf heures, Irena rejoint l'appel avec les autres et se met au garde-à-vous. Le petit déjeuner - un morceau de pain moisi et un succédané de café - a été expéditif. Comme, une demi-heure plus tôt, l'annonce des exécutions du jour. Irena n'a pas pu regarder les condamnés qu'on emmenait. La scène était insoutenable. Elle a regardé ses pieds gonflés et douloureux, les écorchures rouges le long de ses chevilles, attaquées par les punaises. Le simple fait de bouger la tête ravive la douleur des coups reçus au visage. L'appel de neuf heures concerne les détenus qui doivent être conduits dans quelque dispensaire pour y être soignés. Irena réfléchit à ce qui l'attend. Elle redresse brusquement la tête lorsqu'elle entend Jadwiga Jędrzejowska appeler son nom pour une consultation dentaire. Le dentiste ? Je n'ai pas besoin de voir le dentiste... Mais elle se reprend vite et suit le garde sans rien ajouter. La fenêtre du bureau fermé où on l'a conduite surplombe les ruines du ghetto, une mer de gravats et de décombres carbonisés où se rejouent les scènes qu'elle ne peut pas oublier. Ewa, le Dr Korczak, Rachela, Ala, Józef... Mais quand Anna Sipowicz se glisse dans la pièce, c'est un soulagement : elles se sont déjà croisées, avant la guerre, au sein des cercles socialistes. Irena bredouille quelques mots mais Anna pose presque aussitôt un doigt sur ses lèvres et l'invite à prendre place sur le fauteuil. Afin de n'éveiller aucun soupçon, Anna doit forer un trou dans une dent et réparer une carie imaginaire. En réalité, tandis qu'Irena a la tête renversée en arrière, Anna lui passe un "gryps", un message secret roulé en boule. Il émane de "Trojan" - Julian Grobelny - et son contenu est encourageant : "Nous faisons tout notre possible pour te faire sortir de cet enfer..." Irena y griffonne en réponse la seule chose qui lui importe : Les listes sont en sécurité ! Tant qu'elle résiste à la torture, personne ne connaîtra les adresses où sont hébergés les enfants juifs.
Page 301
Pages 301-302
La panique de Żegota
L'intervention de Żegota
Dès l'instant qu'elle est connue, l'arrestation d'Irena déclenche une vague de panique au sein de la résistance. Julian Grobelny et les responsables de Żegota se trouvent confrontés à plusieurs risques majeurs, dont le plus important porte sur les listes et les adresses des enfants. Si Irena est exécutée, les informations qu'elle a mémorisées disparaîtront avec elle. Des centaines, des milliers d'enfants dont beaucoup sont trop jeunes pour se rappeler longtemps leur propre identité, seront perdus à jamais pour leurs familles et la communauté juive. Il existe un danger bien pire encore : celui d'éventuels aveux. Irena le dira sans ambages : "Ils n'étaient pas seulement inquiets pour moi... Ils ignoraient si je pourrais supporter la torture. Après tout, je savais où se trouvaient les enfants ?" Si elle craque, c'est la catastrophe. Mais la sauver représente un énome défi : cela suppose de soudoyer un très haut responsable de la Gestapo. Les appels macabres ont lieu chaque matin. Le 6 janvier, c'est le nom de Jadwiga Deneka qui résonne. Jadwiga est exécutée dans les ruines du ghetto [...] Irena sait qu'elle est la prochaine sur la liste. En janvier, on l'envoie de nouveau à la consultation dentaire et, tout en actionnant sa fraise, Anna lui remet un nouveau message de Żegota. Il n'y est plus question d'évasion ou de liberté. Il dit seulement : "Sois forte, nous t'aimons". [...] "Un jour, j'ai entendu mon nom." Nous sommes le 20 janvier 1944. Le jour de l'exécution d'Irena Sendler est arrivé.
Irena est conduite à Szucha. [...] Acheminées dans une salle ouvrant sur de nombreuses portes, les condamnées sont pour la plupart en larmes. On les appelle à tour de rôle pour les conduire, par une sortie sur la gauche, vers une petite cour intérieure. Puis résonnent les salves du peloton d'exécution. Les sanglots s'amplifient. A l'appel de son nom, Irena se lève et traverse la pièce en titubant. [...] Elle se dirige vers la gauche. Mais le gardien lui désigne la porte de droite. On va encore la torturer ? Non. Elle n'en peut plus, de la torture. Puisque de toute façon elle sait comment tout cela va finir. Dans la pièce où elle pénètre l'attend un policier rougeaud, un agent de la Gestapo chaussé de grandes bottes noires. Venez ! lui intime-t-il. Irena lui emboîte le pas. Elle sort derrière lui dans la lumière blafarde de l'hivers. Si seulement elle avait du cyanure, elle en finirait plus vite. [...] L'homme s'éloigne de la prison et se dirige vers le quartier du Parlement. A l'angle des avenues Wyzwolenia et Szucha, il se tourne vers elle : "Tu es libre, sauve-toi vite !" Irena hésite, incapable d'intégrer l'information. "Libre" ? La seule chose qu'elle parvient à penser, c'est qu'en Pologne occupée on ne peut pas survivre sans papiers d'identité. "Ma Kennkarte, insiste-t-elle, j'ai besoin de ma Kennkarte. Donnez-moi mes papiers !" Les yeux de l'Allemand luisent d'un éclair de rage. "Sale crapule, va te faire voir ! " grogne-t-il, et il lui envoie un coup de poing en pleine figure. Irena trébuche, la bouche en sang. Se rattrape de justesse. Lorsqu'elle se retourne, l'Allemand est parti. [...] Ses fractures mal réduites ne lui permettent pas de marcher longtemps, encore moins de courir. "Je ne pouvais pas continuer [...]. Je suis entrée dans une pharmacie toute proche. La pharmacienne m'a emmenée dans l'arrière-boutique où j'ai fait une toilette rapide et elle m'a donné quelques centimes pour prendre le tram."
Page 304
Page 312
Pages 313-315
Les petits papiers (chapitre 17)
Par un bel après-midi du printemps 1945, peu après son retour à Varsovie, Irena retrouve Janka dans le jardin de la maison en ruines de Jaga. Elles sont souvent venues exhumer les listes enfouies sur lesquelles sont consignés les noms, les adresses et les véritables identités des deux mille cinq cents enfants sauvés du ghetto. Chaussées d'épaisses bottes de chantier et armées d'une large bêche peu maniable, les deux jeunes femmes se mettent au travail parmi les gravats, les morceaux de métal et les broussailles. Cette année-là, il ne subsiste pratiquement plus un arbre dans la capitale. Mais leurs efforts restent vains et elles se résolvent à renoncer. Les listes, de même que les journaux de guerre et les livres de comptes d'Irena, comme tant d'autres choses sont à jamais perdues. Détruites dans le chaos de la bataille de Varsovie. Irena et les femmes de son équipe ne vont pourtant pas s'avouer vaincues. En fouillant leur mémoire, elles parviennent à reconstituer de larges portions des listes. Il demeurera des lacunes, mais tous les noms qui leur reviennent vont être soigneusement dactylographiés sur la vieille machine à écrire de Jaga, retrouvée dans les décombres, et remis à Adolf Berman, depuis peu président du Comité central des Juifs de Pologne. Lorsqu'il émigre en Palestine, Berman emporte cette liste qui appartient aujourd'hui aux archives israéliennes et reste secrète, par respect pour l'intimité des milliers de familles concernées. "Laissez-moi souligner avec force que nous qui avons sauvé ces enfants ne sommes en aucune façon des héros, objecte Irena à tous ceux qui célèbrent son action. Ce terme a même le don de m'irriter particulièrement. C'est le contraire qui est vrai, ma conscience continue de me reprocher d'en avoir fait bien peu." Au fil des décennies suivantes, Irena ne cessera de travailler à la réunion de "ses" enfants avec leurs familles.
Jaga Piotrowska et Jan Dobraczyński ont constitué leurs propres listes d'enfants juifs passés par les orphelinats catholiques pendant la guerre et dotés de nouvelles identités. "J'avais le sentiment de m'être conduite de façon humaine et digne", dira Jaga, certaine d'avoir bien agi. La jeune femme, qui a hébergé plus de cinquante Juifs pendant les années d'occupation, a montré un courage immense et incontestable. Elle va cependant éprouver une "profonde blessure au coeur", comme elle le raconte : " Après la libération de la Pologne en 1945, lorsque la communauté juive s'est reconstituée, Jan Dobraczyński et moi avons rencontré ses dirigeants pour leur remettre la liste des enfants que nous avions sauvés." Ces dirigeants n'ont pas oublié ce que Jan Dobraczyński avait répondu à Adolf Berman : les enfants choisiraient eux-mêmes, une fois adultes, la foi qu'ils désiraient embrasser. Or vous les avez baptisés et en avez fait des chrétiens, lâche Berman. "Pendant cette conversation, on nous a dit [...] que nous avions commis un crime en volant des centaines d'enfants à la communauté juive, en les baptisant et en coupant leurs liens avec la culture juive... Nous en sommes sortis complètement effondrés." Quarante ans plus tard, la conscience de Jaga sera toujours agitée par cette accusation.
Pages 346-348
Lexique de la bande dessinée
Procédés d’enchaînement des vignettes - une scène : suite d’images ayant le même décor. - une séquence : suite d'images ou de scènes formant un ensemble, même si elles ne se présentent pas dans le même décor. - le lien entre les vignettes : élément assurant un enchaînement entre deux vignettes (regard des personnages, objet...). - le zoom : succession de plans qui rapprochent progressivement le sujet. Le traitement de la chronologie - l’ellipse : temps qui passe entre deux cases ou deux scènes. L'ellipse permet de sauter des événements sans importance afin de ne pas casser le rythme de l'action. (ou au contraire de ne pas montrer un événement important pour accentuer un suspense, une sorte de frustration voulue) - le flash-back (ou “ retour en arrière ”, ou analepse). On l'utilise en général pour figurer ou représenter le souvenir d'un personnage, ou pour raconter une action s'étant déroulée avant la scène que nous sommes en train de lire. - la prolepse : elle consiste à faire un saut dans le futur, à annoncer ce qui se passera après un événement.
Une planche de bande dessinée - une planche : page entière de B.D., composée de plusieurs bandes. - une bande : (ou un “ strip ”) : succession horizontale de plusieurs images. - une vignette (ou une case) : image d’une bande dessinée délimitée par un cadre. - une bulle (ou un phylactère) : forme variable qui, dans une vignette, contient les paroles ou pensées des personnages reproduites au style direct. - un appendice relié au personnage permet d’identifier le locuteur avec la forme d’une flèche pour les paroles et de petits ronds pour les pensées. - un cartouche (ou un récitatif) : encadré rectangulaire contenant des éléments narratifs et descriptifs assumés par le narrateur.
La “ bande son ” - une onomatopée : mot qui imite un son ; les onomatopées constituent le bruitage de la bande dessinée. - un idéogramme : icône, symbole ou petit dessin exprimant une pensée ou un sentiment. - la typographie : manière dont le texte est imprimé : caractères, forme, épaisseur, disposition...
Traduction des mouvements - les tirets de mouvements : petits traits de forme variable qui soulignent le mouvement d’un élément de l’image. - le travelling latéral : les personnages semblent traverser l’image d’un côté à l’autre, créant ainsi l’illusion du mouvement en obligeant l’œil à les suivre.
ENTRAÎNEMENTS comparaison texte - image
Le tramway de leon Szeszko
Leon, le mari de Helena Szeszko, infirmière de l'équipe d'Irena et l'une de ses collaboratrices les plus dévouées, soumet bientôt une autre idée audacieuse. Leon travaille au service des transports de la ville et, chaque jour, un des tramways de la ligne de Murańow traverse le ghetto. Le soir, les rames vides stationnent dans un dépôt crasseux, au nord du quartier juif. Qui remarquera un paquet ou un vieux sac oublié sous une banquette lors du premier trajet matinal ? Irena mesure instantanément les possibilités qui s'offrent. Un bébé endormi, ça tient dans un grand cartable. Il faudra trouver quelqu'un qui puisse gagner le dépôt juste avant le lever du jour et dépose le "colis" dans une rame vide. Une personne disposant d'une dérogation au couvre-feu, évidemment. Cette autorisation n'est délivrée qu'à un tout petit nombre de gens dans le ghetto, et chance miraculeuse, Ala Gołąb-Grynberg compte parmi ces priviliégiés. En outre, elle possède les compétences nécessaires pour administrer à un nourrisson la dose requise de sédatif.
Page 162
Page 92
ENTRAÎNEMENT BREVET FACULTATIF
A. TEXTE : Mon Père couleur de nuit, Carl Friedman (1991) - Chapitre "Eichmann"
Le père de la narratrice, une petite fille de dix ans, est revenu traumatisé d'un camp de concentration. Elle ne comprend pas ce qu'il a et pense que "le camp" est une maladie. Ce chapitre se déroule à partir du 11 avril 1961, date de l'ouverture du procès du haut fonctionnaire et criminel de guerre SS Adolf Eichmann à Jérusalem, soit seize ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Adolf Eichmann (1906-1962) est un responsable nazi vu comme le « logisticien » de la Solution Finale ; il organisa la déportation et l'extermination des Juifs d'Europe orientale et d'Allemagne. Réfugié tout d'abord en Argentine, il fut par la suite jugé et condamné à mort en Israël.
« Il est vraiment bizarre ton père », dit Nellie en ricanant. Elle m'interroge des yeux, mais j'évite son regard. Que répondre ? Elle ne sait pas ce que c'est que la faim, les SS. Des mots comme baraque, latrines ou four crématoire n'évoquent rien pour elle. Elle parle une autre langue. Le père de Nellie n'a pas le camp, il a un vélo pour aller à l'usine avec sa boîte de sandwichs sous le les tendeurs. La mère de Nellie porte toujours des pantoufles à carreaux. Elle lève à peine les pieds, elle patine. Elle fait des tours de piste dans la cuisine, car elle vit dans sa cuisine, entre les assiettes sales et le raccommodage. Elle a toujours l'air en colère, pas seulement après nous, mais après les casseroles, la cafetière et le monde entier. Son dentier trempe dans une soucoupe sur l'évier. Elle ne le porte que le dimanche, pour aller à l'église. « Vous avez bien la télévision ? demande-t-elle quand, après l'école, je viens voir par la porte de derrière si Nellie est là. Alors, vous regardez sûrement Eichmann, vous aussi. » Le ton hostile me rend nerveuse. Je fixe mon regard sur le paillasson. « Tu ne sais pas qui c'est, Eichmann ? » Furieuse, elle va elle vient en patinant. Au passage, elle remet avec fracas une chaise à sa place et tripote les boutons du gaz. « Cet homme est une bête ! Ce n'est pas pour rien qu'il est dans une cage en verre. J'aimerais le tuer à coup de pied, ce salaud ! » Elle s'essuie longuement les mains à son tablier. « On l'a vu hier de nos propres yeux à la télévision. Il remplissait un camion de Juifs et, dès qu'il roulait, le gaz pénétrait à l'intérieur. Alors tout le monde mourait asphyxié. Il y avait un tout petit chien, qui hurlait à fendre l'âme. Ils l'ont jeté lui aussi dans l'auto. » Elle lève le bras pour imiter le geste mais se cogne au placard suspendu au mur. « C'est incroyable ! dit-elle, sa bouche édentée grande ouverte. Qu'est-ce qu'il avait fait de mal ce petit chien ? Il n'était pas juif, lui ? » Nellie fait des grimaces dans son dos.
Suite du texte
« Tu es là ? On va jouer ? - Non, non, je dois rentrer. » Mes chaussettes tombent sur mes chevilles, mais je continue à courir. Quand je fais irruption dans le salon, la télévision est allumée. Sur l'écran, je vois la cage de verre, avec à l'intérieur, un homme au crâne dégarni qui porte des lunettes. Il parle dans le micro. Il n'a pas l'air d'une bête, il ressemble à Monsieur Klerkx, celui qui parfois remplace la maîtresse et qui, avant de commencer la leçon, nous fait chanter. « Hé, petites fleurs, dormez-vous encore ? » Je demande, déçue : « c'est lui Eichmann ? Il n'a pas du tout l'air méchant, il ressemble à Monsieur Klerkx, de l'école. » Mon père acquiesce. « Il ressemble au facteur et au boulanger. Le facteur distribue le courrier, le boulanger fait le pain et Eichmann a conduit des hordes de malheureux aux chambres à gaz. Il faisait tout simplement son travail comme d'autres font le leur. C'est à vomir. - Alors pourquoi tu regardes ? - Parce que je veux comprendre. Mais je comprends encore moins maintenant qu'avant. - La mère de Nellie dit qu'elle voudrait le tuer à coup de pied. » Mon père éclate de rire. « Avec ses savates ? » Il allume une cigarette. « Elle n'est pas la seule, dit-il. Des lettres de gens qui se proposent pour tuer Eichmann, le journal en est plein. Eichmann. Maintenant qu'il est sans défense, maintenant qu'en effet on pourrait l'écraser du bout d'une vieille savate. Toute une armée de volontaires. Où étaient-ils ces héros quand on avait besoin d'eux ? Je n'y comprends plus rien. »