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Le sonnetanthologie

Delphine Pierson-LiénardLycée Charlotte Perriand (Genech, 59)

Préface: Les cinq auteurs présentés ici sont représentatifs, selon nous, de la faveur dont a bénéficié le sonnet du treizième au début du dix-septième siècle, ainsi que des thèmes de prédilection de cette forme poétique.

Sonnet: poème à forme fixe de quatorze vers en deux quatrains sur deux rimes et deux tercets.

© Victoria and Albert Museum, LondonCopie du 17e siècle d'un original fin 15e-déb. 16e siècleItalieLéonard de Vinci ? (1452-1519), peintre de l'originalHuile sur toile marouflée sur panneau de noyer, 61 x 46 cm

Sonnet italien: PétrarquePétrarque, poète italien de la fin du Moyen Age est un représentant de l'humanisme. Le Chansonnier est un recueil de poèmes amoureux autour de la figure de Laure de Noves, une jeune fille rencontrée lors d'un séjour en Provence. Le sonnet a une tonalité lyrique: il exprime à la fois les sentiments du poète pour la dame et les souffrances qu'il endure en raison de ses refus.

Canzoniere. CLXI

Ô pas épars ; Ô pensers errants et fugitifs ; Ô tenace mémoire ; Ô cruelle ardeur ; Ô puissants désirs ; Ô faible cœur ; Ô mes yeux, qui n’êtes plus des yeux, mais des fontaines ;Ô feuillage, honneur des illustres fronts, Enseigne unique que suit La double valeur ; ô pénible existence, ô douce erreur, Qui me faites parcourir Les plaines et les monts ;Ô visage charmant où l’amour a placé à la fois Les éperons et le frein dont Il me pique et me dirige comme il Lui plait, sans qu’il serve à rien de regimber ;Ô nobles âmes amoureuses, s’il en est encore au monde, Et vous, Ombres nues dont les corps sont devenus poussière, Arrêtez-vous de grâce, et voyez quels maux sont les miens.

Hélène de Clermont Traves, dame de GramontClouet François , vers 1550 Papier ; Pierre noire ; Sanguine; 33 x 22.5 cmMusée de Condé

Sonnet médiéval de Mellin de Saint-GelaisMellin de Saint-Gelais était, comme Clément Marot son ami et contemporain, considéré comme le "prince des poètes" de Cour. Dans ce sonnet, il prête sa plume à Hélène de Clermont pour répondre à un autre sonnet d'un Italien qui fut le serviteur de la mère, décédée au moment de l'écriture, d'Hélène de Clermont. Ce sonnet ne parle donc pas des sentiments de Mellin de Saint-Gelais.

Mellin de Saint-Gelais, SONNET II.FAICT AU NOM DE MADAMOISELLE DE TRAVÈS, HELEINE DE CLERMONT, QUI DEPUIS A ESTE MADAME DE GRAMMONT, POUR RESPONDRE A UN AUTRE SONNET D’UN ITALIEN QUI AVOIT ESTE SERVITEUR DE SA FEU MERE HELEINE DE BOISY MORTE A MARSEILLE LE 29 OCTOBRE 1533.

Si l’amitié chaste, honnorable et saincte,Que vous avez long-temps portée à celleDont je naquis, n’a nulle autre estincelleQue de mon feu, elle est morte et esteinte.Car quelle forme en moy peut estre emprainteDe sa beauté et louange immortelle,Veu que je suis, si on regarde à elle,Auprès du vif une figure peinte ?Servez la donc, honnorant sa memoire,Et moy, voyant vostre amour et sa gloire,Cognoistray mieux mon imperfection ;Ou s’il est vray qu’en rien je luy ressemble,C’est seullement de ce qu’en moy s’assembleToute envers vous son obligation.

Pendentif : couple de profil / rosacevers 1500Lieu de création : Italie (?)Département des Objets d'art du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes / Musée du Louvre

Sonnet de la Renaissance (1): La Pléiade (Etienne Jodelle)Jodelle, né en 1532 et mort à 41 ans, est surtout connu pour avoir initié la tragédie en alexandrins mais dans membre de La Pléiade, il a aussi composé des poèmes, dont ce sonnet dans lequel il chahte autant la crainte et la venue imminente de la mort que l'affection qu'il porte à son bracelet, symbole probable d'une femme dont il est amoureux (le bracelet comporterait des cheveux blonds de sa bien-aimée).

Etienne Jodelle, Sonnetin « Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets », édition d’Agnès Rees, préface de Florence Delay. Collection Poésie/Gallimard (n° 574), Gallimard, 2022, 240 p

Plus tôt la mort me vienne dévorer,Et engloutir dans l’abîme profondeDu gouffre obscur de l’oblivieuse onde,Qu’autre que toi l’on me voie adorer.Mon bracelet, je te veux honorerComme mon plus précieux en ce monde :Aussi viens-tu d’une perruque blonde,Qui pourrait l’or le plus beau redorer.Mon bracelet, mon cher mignon, je t’aimePlus que mes yeux, que mon cœur, ni moi-même,Et me seras à jamais aussi cherQue de mes yeux m’est chère la prunelle :Si que le temps ni autre amour nouvelleNe te feront de mon bras délâcher

Sonnet de la Renaissance (2): l'école lyonnaise (Louise Labé)Louise Labé, surnommée "La Belle Cordière" en raison de la profession de son père et de son mari, est une lyonnaise éduquée, en contact avec les milieux humanistes. En 1554, elle rencontre Olivier de Magny, avec qui elle échange en vers. C'est à lui qu'elle adresse ce sonnet dans lequel elle met en scène la plainte de ne pas être aimée en retour.

Louise Labé, Sonnet II

Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,Ô chauds soupirs, ô larmes épandues,Ô noires nuits vainement attendues,Ô jours luisants vainement retournée !Ô tristes plaints, ô désirs obstiné,Ô temps perdu, ô peines dépendues,Ô milles morts en mille rets tendues,Ô pires maux contre moi destiné !Ô ris, ô front, cheveux bras mains et doigts !Ô luth plaintif, viole, archet et voix !Tant de flambeaux pour ardre une femelle !De toi me plains, que tant de feux portant,En tant d'endroits d'iceux mon cœur tâtant,N'en ai sur toi volé quelque étincelle.

Sonnet 6 in the 1609 Quarto of William Shakespeare's sonnets

Sonnet élisabéthain: ShakespeareLes 154 sonnets de Shakespeare ont été publiés pour la première fois en 1609. Ils sont caractéristiques d'une écriture lyrique, pour certains, satirique pour d'autres. Le sonnet 6 n'est pas sans rappeler des thèmes chers à Ronsard, qui plus est lorsqu'il s'adresse à une femme: le pouvoir évocateur du poète, la toute-puissance de son chant au regard de la fuite du temps. La référence aux descendants est plus spécifique à Shakespeare.

William Shakespeare, Sonnet 6version française de Michel Bernardy

Plutôt ne laisse pas la griffe de l'hiverAbolir ton été sans en sauver le germe.Dans un flacon d'argent relègue en sa matriceLa perfection des traits avant qu'ils se détruisent.En user de la sorte est loin d'être une usurePuisque le débiteur s'en acquitte avec joie.C'est mettre au monde un autre issu de ta personneEt dix fois plus heureux en misant dix contre un.Tu aurais un bonheur multiplié par dixSi dix de tes enfants te remettaient au monde.Que ferait donc la mort si lors de ton décèsTu demeurais vivant par ta progéniture?Ne t'obstine donc pas. Ton charme est bien trop grandPour être par la mort en proie à la vermine.

Sitographie- Wikisource- Les Essentiels de la BNF

Bibliographie- Pétrarque, Le Chansonnier, 1470- Mellin de Saint-Gelai, OEuvres- Etienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets- Louise Labé, Sonnets, 1555- Shakespeare, Sonnets, 1609

novembre 2024 (C) DPL

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