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Enquête de culture et enjeux du numérique d'élèves de 2A à Sciences Po (2024-2025), au sujet des effets de Tinder sur la santé mentale.

Transcript

Exploration numérique collective : Comment les algorithmes de Tinder influencent-ils notre santé mentale ?

Lancée en 2012, Tinder s’impose comme l’application de rencontre par excellence ! En effet, aujourd’hui c’est 80 millions d’utilisateurs, dont 9 millions qui payent un abonnement. C’est également plus de 4 milliards de swipes par jour et 70 milliards de matchs réalisés depuis son lancement. Par ailleurs, un.e utilisateur.trice utilise l’application en moyenne 35 minutes par jour à raison de 4 visites environ.

Méthode

Étude

Analyse

L'équipe

Tinder matche-t-il avec la santé mentale ?

Un Match ?

Un Swipe ?

Notre enquete

Tinder, 12

Méthode

Étude

Analyse

L'équipe

Nous avons créé un questionnaire Google Form anonyme avec une trentaine de questions pour recueillir les points de vue d'utilisateurs de Tinder.

Nous avons téléchargé l'application dans le but d'avoir une expérience utilisateur et de nous familiariser avec l'interface désignée comme "simpliste mais claire" par les répondants à notre questionnaire.

Notre dernier moyen d'obtenir des résultats empiriques a été d'organiser des entretiens avec des utilisateurs. Nous avions aussi cherché à avoir l'expertise d'un spécialiste de l'addiction numérique.

01 : Questionnaire

Tinder matche-t-il avec la santé mentale ?

02 : Test utilisateur

+ Info

03 : Entretiens

+ Info

+ Info

Tinder matche-t-il avec la santé mentale ?

Méthode

Étude

Analyse

L'équipe

Actions des utilisateurs

Les photos

Le like

Parler ou ghoster, telle est la question

Gamification et design

+ quantité, - qualité

Sur-stimulation et dating fatigue

Procédés algorithmiques

Ressources

Méthode

Étude

Analyse

L'équipe

Conséquences sur les utilisateurs

Qu'en conclure ?

Tinder matche-t-il avec la santé mentale ?

+

-

Conséquences positives

Conséquences négatives

La version complète rédigée

Tinder matche-t-il avec la santé mentale ?

Mail

ADDRESSE

13 rue de l'Université, 75007 Paris

enquetetinder454@gmail.com

Maena AUBERT--RABANEDAOriane WONGEkaterina ALEKSEEVALise HENNEQUINBaptiste DAULIAC

Méthode

Étude

Analyse

L'équipe

Encadré.es par :

Mme. Clémence SEURAT

Equipe d'enquête

Les photos affichées en grandes et l'images du corps: quelle influence sur la santé mentale des utilisateurs.rices ?

Le photocentrisme du Tinder affecte l’image que les utilisatrices et les utilisateurs ont de leur corps. L’objectif ultime du Tinder étant de trouver un match – une personne avec laquelle poursuivre les relations amoureuses ou sexuelles – le placement des photos au centre du récit personnel (c’est la 1ère chose que les utilisateur.ices voient dans le profil, elles sont de grande taille. L'âge, les intérêts et même le prénom, qui sont normalement des éléments importants, ne forment pas la meujeure partie du profil) incitent les utilisateur.ices à faire particulièrement attention aux images publiées. Avec cette interface spécial, les photos deviennent un facteur essentiel d’évaluation d’un match potentiel. L’enquête menée le montre : sur l’échelle de un à cinq, six personnes sur onze évaluent l’importance de la photo pour le match à cinq, lorsque seulement trois sur onze accordent la même importance aux centres d’intérêts et localisation, deux – à l’âge, un – au prénom, et personne – à la biographie. L’apparence physique, comme présentée par la photo, constitue alors le point le plus important du profil et le plus retenu par les utilisateur.ices. En employant eux-mêmes cette stratégie, les utilisateur.ices deviennent excessivement conscients de l’image de leur corps, qui est mise en avant contrairement à leur personnalité. La situation est accentuée par le fait que les photos sont continuellement accessibles pour l’évaluation par les autres. En regardant et en évaluant à son tour les photos des autres, les utilisateur.ices apprennent leur attirance relative et internalisent les idéaux de la beauté afin de gagner en compétitivité. L’utilisateur interrogé lors d'un des entretiens parle de la nécessité de « montrer primitivement à quoi tu ressembles » sur la photo, qui est ce que « tu as en premier lieu », en soulignant en même temps qu’il ne retouche pas ses photos, ce qui montre l’appréciation de l’authenticité même dans les conditions de la concurrence décrites.Le surinvestissement de l’apparence physique causé par le placement des photos au centre de la personnalité et les comparaisons aux autres, mènent à la perturbation de l’image du corps qui peut avoir les conséquences plus importantes, notamment sur l’estime de soi.

Enfin, la plupart des utilisateurs a répondu à la question "Pourquoi utilises-tu Tinder et pas une autre application ?" de notre Google Forms disant que Tinder était l'application la plus utilisée et celle sur laquelle il y avait le plus de monde. D'après l'étude "Pratiques et usages de Tinder, une étude exploratoire" de Maude LECOMPTE, Simon CORNEAU et Dominic BEAULIEU-PREVOST, pour l'Université du Québec à Montréal, ce type de réponses souligne que les utilisateurs cherchent la quantité plutôt que la qualité. Cela mène les utilisateurs à réduire leurs standards en termes de rencontre. Les utilisateurs privilégient les personnes à proximité et cherchent moins à savoir à quoi ressemblent leurs matchs. Ils réduisent leurs attentes au niveau de l'âge, des centres d'intérêt ou de la présentation des matchs en faveur d'une proximité géographique. Les utilisateurs ne cherchent plus 'la personne idéale' mais plutôt les matchs les plus attrayants à proximité. De plus, Marc CARMAN, Kim-Kwang Raymond CHOO analysent dans l'article "Tinder Me Softly - How Safe Are You Really on Tinder ?" sorti en 2017que la simplicité de l'application, l'accès à des miliers d'utilisateurs rapidement et l'envie de quantité mènent les utilisateurs à baisser leur garde en plus de leurs standards. Ils vont s'exposer à des possibilité de harcèlement, de fraude ou bien d'agressions. Cependant, les utilisateurs préfèrent se rencontrer dans des lieux publics pour limiter les risques de violence. Néanmoins, ils font confiance rapidement et se retrouvent parfois dans des guet-apens. Selon SOSHomophobie, entre 2021 et 2022, le nombre de guet-apens LGBT+phobes a augmenté de 13%, l'année suivante le nombre d'agressions a cru à nouveau de 19%, s'élèvant à 2 870 injures ou agressions physiques sur l'année 2023. C'est pour cela que Tinder a développé des certifications. Ce sont des badges visibles sur le profil des utilisateurs, ils permettent d'éviter la prolifération de faux comptes. Après une vérification photo ou vidéo de l'identité de l'utilisateur, l'application certifie que la personnes sur les photos est bien celle utilisant le compte. Cela permet de rassurer les utilisateurs dans leur usage de l'application, cela limite les incidents liés à de fausses identités. Elles peuvent montrer que l'utilisateur a d'autres réseaux sociaux comme FaceBook ou Instagram ou bien qu'iel est dans une université (via la version universitaire de Tinder : Tinder U).Ainsi, sur Tinder comme sur d'autres applications de rencontres, les dangers sont réels. C'est du au fait que les utilisateurs baissent leur vigilence et leurs standards. En plus de changer les attentes en terme de rencontre, Tinder ajoute également des dangers à la rencontre amoureuse, ou maintenant surtout sexuelle.

+ de quantité, - de qualité: la surabondance de profils qui use notre santé mentale

Le swiping est l’action consistant à sélectionner la photo et à la balayer sur le bord droit ou gauche de l’écran : le swipe droit indique que l’utilisateur apprécie le profil présenté, le swipe gauche qu’il ne l’apprécie pas. (Collomb, C., Galligo, I. et Pais, F. (2016) . Les algorithmes du désir : enquête sur le design libidinal de Tinder. Sciences du Design, n° 4(2).)

Un swipe ?

Santé mentale & Tinder Match ou pas Match ?

Le Match avec la santé mentale dépend de l'utilisation qui est faite de Tinder !

Une conclusion en trois temps...

Alors que nous étions en plein dans notre enquête, un sondage est sorti sur les “lieux” de rencontre des couples aux Etats-Unis depuis un siècle. Le résultat est sans appel: aujourd’hui, aux États-Unis, les couples se rencontrent davantage sur Internet (applications, sites de rencontres et réseaux sociaux). Tinder fait donc partie de ces nouveaux “lieux” de rencontre virtuels, contrôlés par des algorithmes qui peuvent influencer la santé mentale des utilisateurs et donc, à terme, modifier les comportements amoureux.

Par ailleurs, en commençant notre enquête nous savions que les algorithmes de Tinder pouvaient influencer les rencontres mais nous n’avions pas imaginé les effets au-delà de celles-ci: sur l’intériorité des utilisateurs.rices de la plateforme Tinder. Mais après quelques semaines de travail sur ce sujet, nous voyons bien les effets des algorithmes sur la santé mentale. De la simple comparaison, au besoin accru de validation externe en passant par l’augmentation des interactions superficielles, Tinder et ses algorithmes ne matchent donc visiblement pas complètement avec la santé mentale…

Toutefois, au terme de cette enquête collective, nous souhaitons garder en tête que l’impact des algorithmes de Tinder sur la santé mentale dépend aussi largement des objectifs et de l’utilisation personnelle qui sont faits de l’application. Une utilisation équilibrée et réfléchie de Tinder peut donc permettre de faire des rencontres, tout en préservant sa santé mentale.

Tinder a, comme nous avons commencé à le montrer, des effets néfastes sur la santé mentale et l’estime de soi. Tout d’abord, grâce à notre expérience utilisateur, nous avons remarqué que Tinder ne cesse de faire des propositions pour souscrire à des abonnements donnant accès aux versions payantes de Tinder : Tinder Plus et la version premium Tinder Gold et Tinder Platinium est l’abonnement donnant accès à toutes les fonctionnalités de l’application. Le site officiel de Tinder décrit que Tinder Plus permet de donner des “likes illimités”, de “masquer les publicités” ou de “passer en mode incognito”, Tinder Gold a les mêmes fonctionnalités et permet également de mettre des Superlikes, de voir “de nouveaux Coups de cœur tous les jours” et de découvrir “qui a liké votre profil”, et enfin, Tinder platinum a les mêmes fonctionnalités que les précédents mais permet également d’envoyer “un message avant de matcher”, des “likes prioritaires” et de “voir les likes que tu as envoyé au cours des 7 derniers jours”. À 6,99€ par semaine ou 21,99€ par mois (avec le premier mois à moitié prix) pour Tinder Plus, la triade des abonnements de Tinder a séduit 10,9 millions d’utilisateurs en 2022 selon le site de statistiques Priodata. Le site de comparaison de sites de rencontre ‘Séducteur Moderne’ les abonnements Tinder peuvent être utiles pour certains utilisateurs expérimentés. Néanmoins l’auteur des articles analyse que beaucoup d’utilisateurs pensent que les abonnements vont permettre à leurs profils d’être matchés de manière illimité ou bien que les femmes (parce que la majorité de ceux qui souscrivent aux options payantes de Tinder sont des hommes hétérosexuels) vont leur parler plus. Pourtant il considère que l’utilisateur doit tout de même agir pour avoir des matches, même avec un abonnement. Cet abonnement peut donc devenir un fardeau financier lorsqu’il ne donne pas les résultats escomptés mais une addiction coûteuse lorsqu’il les donne. De plus, dans l’article “Dix petits hacks Tinder : les algorithmes au service d’une économie spéculative des rencontres amoureuses et sexuelles”, David MYLES et Martin BLAIE analysent que les algorithmes Tinder créent une économie de l’attention et du désir puisque les utilisateurs sont sans cesse exposés à d’autres profils. Chacun développe sa propre stratégie de présentation pour maximiser les matches. Ainsi la rencontre amoureuse en ligne devient un jeu de spéculation. Ils proposent un regarde critique sur l’impact de Tinder des technologies de rencontre sur les interactions amoureuses et sociales en dénonçant des problèmes éthiques. Enfin, Philippe BAUD, addictologue spécialisé dans le numérique (avec lequel nous avons cherché à avoir un entretien mais n’avons pas eu de réponse), analyse dans son article “Comment les sites de rencontre nous rendent accros” que les sites de rencontre permettent de “combler une angoisse, un manque”. En effet, les sites de rencontre donnent l’illusion, selon lui, d’avoir des contacts sociaux, mais ces interactions ne comblent pas un manque affectif, elles l’alimentent. En plus, des dangers liés aux maladies et infections sexuellement transmissibles sont également d’autant plus négligés par les utilisateurs. Ainsi, les utilisateurs sont exposés à des dangers liés à la santé mentale et également physique qu’ils pensent contrôler à tort. Cet article fait écho à celui intitulé “Le crack numérique” de Maria MERCANTI-GUÉRIN, elle y dénonce l’effet addictif des applications, qu’elle compare à une drogue. Dans la deuxième partie du chapitre liée aux pathologies liées à l’addiction, elle évoque Tinder. Tout d’abord, il y a l’anxiété, puisque les utilisateurs se dévoilent et dévoilent leurs informations personnelles ou leurs préférences pour être plus attractifs aux yeux des autres utilisateurs. Ensuite elle parle de l’athazagoraphobie, c’est-à-dire la “peur d’être oublié par ses pairs”. Les individus ne cherchent plus tous à trouver l’amour mais certains cherchent une compagnie ou une validation dans des rencontres avec des inconnus.

Il est important de ne pas se concentrer seulement sur les effets négatifs de l’application pour ne pas “raconter qu’une partie de l’histoire”, pour reprendre les mots de Yu-Chin Her et Elisabeth Timmermans : Tinder a aussi des effets positifs sur certains utilisateurs. D’abord, Tinder alimente un sentiment de contrôle qui renforce la confiance en soi et rassure. Les utilisateurs ont le sentiment de contrôler leurs relations à chaque étape de la rencontre, et de pouvoir arrêter à tout moment si nécessaire (voir la partie sur le ghosting). Ils peuvent énoncer des limites et formuler des attentes avant même d’établir le contact avec l’autre, à travers la bio notamment, et également annoncer le type de relations qu’ils recherchent. Ainsi, non seulement ils choisissent les informations qu’ils souhaitent révéler sur eux, mais contrôlent aussi l’image qu’ils veulent renvoyer et peuvent se présenter de la manière qui leur donne le plus confiance en eux. En définitive, ils décident de A à Z la façon dont ils veulent « dater », ce qui créer une bulle sécurisée et rassurante. Cela est particulièrement pertinent pour les personnes timides ou mal à l’aise socialement, qui peuvent communiquer en toute sécurité, avoir des interactions sociales, et ne pas être isolées. Ainsi, Tinder aide à combattre la solitude et constitue une alternative pour les personnes qui ont du mal à rencontrer des personnes en vrai. En outre, cela permet aussi à ces personnes timides ou mal dans leur peau d’être approuvées, de se sentir aimées (par les likes) et d'expérimenter des choses qu’elles ne se permettraient pas dans la vie réelle. Cette idée de « safe place » se retrouve également chez les communautés marginalisées, qui peuvent de fait exprimer leurs préférences romantiques ou sexuelles et rencontrer de partenaires sans crainte d’être stigmatisées. C’est ce qu'exprime l’utilisateur rencontré lors de l’entretien : « Pas d’homophobie car tu choisis ce que tu veux. » Ensuite, Tinder est un instrument social de premier plan. L’application a notamment été d’une grande aide pendant la pandémie, comme le montre l’entretien : « Mais ça m’a permis de me sentir quand même moins seul. Avec les cours à la maison. J’étais nouveau dans mon lycée. ». Ainsi, elle permet aux gens de se sentir connectés aux autres et de maintenir des liens sociaux dans une période d’incertitude et d’isolement. Dans cette optique, Tinder est un lieu de socialisation qui agit au-delà du champ amoureux : de nombreuses personnes s’en servent pour rencontrer des personnes différentes et élargir son cercle social. « C’est un prétexte pour parler avec des gens. En parlant plus ou moins longtemps, plus ou moins ponctuels. Permet de découvrir des gens qui ne sont pas du même cercle économico-académique que moi. Il y a un certain bienfait, côté un peu sympa. Comme tu es bien moins restreint spatialement et socialement. C’est une façon importante de faire des rencontres non déterminées par ma classe sociale. Du fait de mes loisirs, de mes études, je ne fréquente que des gens de classes moyennes qui font des études. Masters dans des universités parisiennes, à Sciences Po, à l’école d’ingé. Toujours le même type de personne. Tu as moins ce déterminisme sur Internet. » Enfin, notons que plus le SOS (subjective online success) d’un individu est élevé, plus son bien-être sera important : en ce sens, Tinder est similaire aux réseaux sociaux en permettant de redonner confiance en soi - à la condition qu’on matche. Ainsi, l'utilisateur rencontré pendant l’entretien décrit de la façon suivante ce qu’il ressent lorsqu’il reçoit un like : « Une sorte de petite poussée d’égo. Égo entretenu fait toujours plaisir, comme si tu recevais un compliment. ». En définitive, l’impact positif ou négatif de Tinder dépend beaucoup de la façon dont les gens l’utilisent, de ce qu’ils en attendent et des personnes elles-mêmes : celles qui reçoivent du succès vont voir leur bien-être s’accroître, et celles qui ont des difficultés dans leurs interactions sociales vont trouver dans Tinder un moyen plus rassurant de nouer des relations.

De l’étude d’un consumérisme amoureux à l’étude des effets des algorithmes de Tinder il n’y a qu’un pas… En effet, dans un premier temps nous souhaitions étudier le consumérisme romantique que développe Tinder. Pour ce faire nous avions commencé à lire des articles et nous avions également télécharger l’application et créer un profil afin de trouver des témoignages d’utilisateurs pour notre enquête. En téléchargeant l’application, nous nous sommes rendu compte qu’elle pouvait être addictive mais également très intrusive, créant une sorte de pression permanente. Nous nous sommes donc questionnés sur l’influence que pouvait avoir Tinder sur la santé mentale de ses utilisateurs.trices. Face à ces premières observations nous nous sommes posés une question : comment les algorithmes de Tinder influencent-ils notre santé mentale ? Afin de répondre à cette question notre enquête se divise en trois parties. La première va se concentrer sur les actions des utilisateurs. Le seconde sur les procédés des algorithmes et dans une troisième partie nous nous pencherons sur les pathologies qui peuvent découler de l’utilisation de Tinder. Nous avons choisi ce format de restitution pour restituer une expérience utilisateur fluide et gamifiée。

Les développeurs de Tinder ont misés sur un design ludique et coloré, simpliste au possible pour pousser à l’utilisation. Un des utilisateurs ayant rempli le Google Form le décrit comme:« Très simpliste et accessible, boutons et UI minimalistes, rien ne nous "surstimule", l'appli est "détendue" et nous pousse donc à ouvrir l'appli (contrairement à d'autres applis tel que insta, snapchat, etc. qui débordent de fonctionnalités, UI et notifications) »Un autre nous dit qu’il aime Tinder car « impression d’ergonomie, interface simple à comprendre, pas trop d’informations et différentes sections ».Un autre nous a dit pendant l’entretien que: « (Tinder) reprend les codes d’accessibilité facile ». Quand on lui a demandé de nous décrire le design, il a répondu:« Quand tu entres, tu es confronté à des tuiles que tu peux swiper.Le focus mis sur l’autre personne. Il y a un encart en haut à droite pour modifier ton profil, l'endroit le moins accessible par tes pouces…contrairement aux boutons de swipe!Puis en bas il y a les options payantes: la transaction à portée de pouce.Il y a un vrai focus sur la finalité: l’autre que tu cherches à rencontrer. Un focus sur la potentielle transaction qui peut s’en suivre, ou pas. Elle peut émaner du manque de relations. Toi, ce que tu montres aux autres est assez secondaire. Plus spontanément, c’est la photo, l’image physique que tu as en premier lieu. Pas du tout ce que peut être la personne. »Cette plateforme implique avec des règles d’interactions spécifiques à ce genre d’application, qu’il faut suivre: « tu dois jouer le jeu » (utilisateur d’un entretien). Pleins de petits mécanismes imperceptibles mais qui peuvent provoquer l’addiction. « Je pense que oui, ça peut rendre addict une personne pour qui (Tinder) est la bouée de sauvetage affective. Ce n’est pas comme une personne qui se demande qui va venir dans sa garçonnière ce soir » (idem).Plusieurs usages, donc, mais un même design et un même objectif: gamifier la rencontre amoureuse.La gamification se définit comme une stratégie marketing qui consiste à améliorer les process, les services, les entreprises et leurs activités en créant des expériences similaires à celles vécues lorsque l'on joue à un jeu vidéo.Le design enfantin, les couleurs vibrantes (« Les couleurs sont sympas », un utilisateur interrogé dans le Google Form pour savoir s’il appréciait Tinder) et les affichages de Tinder le transforment donc…on en oublierait presque que les profils ne sont pas des avatars, mais des personnes réelles. Ainsi, un autre utilisateur nous confie dans le Google form qu’il-elle utilise Tinder: « le soir, quand j’ai finis de manger, ou avec mes amies pour « y jouer » ».Cette stratégie repose sur la sécrétion de dopamine par le système de récompense. L’addiction à Tinder se déploît par plusieurs étapes:1.Évaluation du degré esthétique via le design qui met en avant les photos: qui active circuit de récompense esthétique-> mécanisme sociale et naturelle (à la base pour reproduction). Se joue alors une tension entre désir et attention, avec le rôle centrale de la pulsion scopique: le plaisir ressenti en regardant quelqu’un d’autre.2.Principe de la récompense aléatoire avec le like-> principe de la machine à sous. Même quand on gagne (match), on veut rejouer. On ne laisse plus le temps à ce que Stendhal apparaît dans De l’amour: la cristallisation. C’est-à-dire l’idéalisation due à l’absence de l’être aimée et à son attente, qui permet de développer de vrais sentiments. Tinder y substitue la zapping à l’infini, et les match ne débouchent que très rarement sur une réelles rencontres (exemple: un utilisateur ayant Tinder depuis un an et matchant en moyenne trois fois par jour nous a confié n’avoir jamais eu de rendez-vous via Tinder). Bien que Tinder revendique les statistiques Tinder suivantes :95% des gens rencontrent les matchs avec lesquels ils se connectent en une semaine. 44% des personnes ont trouvé des relations à long terme sur Tinder. 13,6% des appariements débouchent sur un mariage; Un article du Daily Mail rapporte que 50% des utilisateurs Britanniques de Tinder n'ont jamais été qu'à un date, malgré la correspondance avec des centaines de personnes. 3.Eloscore: en fonction du nombre de like que tu reçois, tu es classé. On ne te présente ensuite que des profils avec le même rating que le tien. Mais, pour te faire rester sur l’application Tinder te montre parfois des profils avec de meilleures notes que toi. Seulement, eux ne te voient pas. Cela te pousse aussi à utiliser tous tes likes (limités par jour), et ainsi à payer pour souscrire à un des abonnements et débloquer plus de fonctionnalités (likes illimités, …).4.On est addicts car plus on swipe, plus on veut swiper. Le système dopaminergique ne possède aucun mécanisme de satiété. 5.Après bcp d'utilisation, raccourci dans le cerveau, c’est le geste qui déclenche la décharge de dopamine. A alors lieu une création synaptique nouvelle, qui rend machinale l’utilisation de Tinder. Un des utilisateurs entretenus avait d’ailleurs avoué qu’il n’y allait maintenant plus que « par habitude ». Toutes ces stratégies de design et de gamification sont donc destinés à produire de la dopamine dans l’esprit de l’utilisateur, pour le pousser à rester le plus longtemps sur l’application. Tinder devient alors une simple plateforme virtuelle addictive -avec tout ce que l’addiction et les écrans ont de plus nocifs pour la santé mentale et l’estime de soi-, et plus un média de rencontres physiques.

Design addictif et gamification, deux stratégies de Tinder ennemies de notre santé mentale

Sources :

  • https://fr.tinderpressroom.com/Connecting-in-the-time-of-COVID-19
  • https://fr.tinderpressroom.com/news?item=122514
  • https://www.challenges.fr/entreprise/sante-et-pharmacie/coronavirus-sur-tinder-le-dernier-date-avant-la-fin-du-monde_703146
  • https://digital.hec.ca/blog/tinder-les-rencontres-virtuelles-en-pandemie/
  • « Mon catfish », Le Podkatz, Juliette Katz
  • https://www.arte.tv/fr/videos/085801-001-A/dopamine/
  • Tinder a 10 ans : comment le « swipe » de l’application de rencontre a conquis la planète (Le Monde https://nouveau-europresse-com.acces-distant.sciencespo.fr/Search/ResultMobile/)
  • https://shs.cairn.info/revue-sciences-du-design-2016-2-page-117?lang=fr
  • https://nouveau-europresse-com.acces-distant.sciencespo.fr/Search/ResultMobile/0
  • https://www.20minutes.fr/culture/4040350-20230612-gens-fatigues-etre-ghoste-ca-joue-sante-mentale-selon-presidente-happn
  • https://uxdesign.cc/how-tinder-nails-activation-with-push-notifications-bcfb5c87f72
  • https://tinder.com/fr/feature/subscription-tiers
  • https://prioridata-com.translate.goog/data/tinder-statistics/?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=rq#:~:text=The%20number%20of%20Tinder%27s%20paying,year%2Don%2Dyear%20increase.
  • https://seducteurmoderne.com/conseils/sites-rencontres/tinder/gold/
  • https://philippebaud-psy.com/laddiction-aux-sites-de-rencontre/
  • https://shs.cairn.info/web-crash--9782376878650-page-140?lang=fr
  • https://uottawa.scholarsportal.info/ottawa/index.php/CJMS-RCEM/article/view/5878
  • https://www.liberation.fr/societe/sexualite-et-genres/sos-homophobie-hausse-preoccupante-des-agressions-physiques-lgbtphobes-20230516_VDZR3UA2TBFHPGHXCZ7G3NMZMY/
  • https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-59608-2_15
  • https://tinder.com/fr/feature/subscription-tiers https://prioridata-com.translate.goog/data/tinder-statistics/?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=rq#:~:text=The%20number%20of%20Tinder%27s%20paying,year%2Don%2Dyear%20increase.https://seducteurmoderne.com/conseils/sites-rencontres/tinder/gold/ https://philippebaud-psy.com/laddiction-aux-sites-de-rencontre/ https://shs.cairn.info/web-crash--9782376878650-page-140?lang=fr

Santé mentale: le like et l'estime de soi

On l’a vu, les photos publiées par les utilisateur.ices sont soumises à l’évaluation continuelle par leurs pairs. Pour cela, ils peuvent s’exprimer par le like. Le like de la photo est considéré, pour les raisons exposées dans la sous-partie précédente, comme le like de soi, de sa personnalité tout entière. Cela peut causer une « poussée d’ego » (paroles d’un utilisateur entretenu). Seulement, le manque de like sur la photo peut à l’inverse exprimer un manque d’approbation et d’appréciation. Cela peut mener à une baisse de l’estime de soi. L’estime de soi blessée, les utilisateur.ices sont incité.e.s à se comparer aux autres pour monter dans le rating. L’instrument principal pour l’auto-promotion étant la photo, les utilisateur.ices s'investissent plus et développent un regard de soi qui correspond -poussé à l’extrême- à celui-ci réduit à leur apparence physique et de leur attirance potentielle. Cela est fortement objectivant. La comparaison joue ici un rôle majeur donnant aux utilisateur.ices un « point de référence » permanent. Ils essayent alors de se rendre plus séduisants sur les photos, en se fondant sur les photos des autres. La théorie d’objectification -qui affirme que l’expérience de socialisation qui comporte le fait d’être objectivé sexuellement et exposé à des critères de beauté toujours plus exigeant- peuvent mener à des troubles du comportement alimentaire et à de la détresse psychologique. Cela offre un cadre théorique, qui peut expliquer les effets sur l’estime de soi du like ou de son absence..

Nous avons opté pour la transparence : le compte que nous avons créé est un compte d'enquête sur Tinder. Nous expliquons dans notre bio la raison de notre démarche: nous souhaitons savoir de quoi nous parlons en ayant une expérience utilisateur. Le profil est le plus neutre possible pour que tout utilisateur nous swipe sans être biaisé par une photo de nous ou des centres d'intérêt.

Expérience utilisateur

Observations et premiers ressentis issus de notre première utilisation de Tinder avec le profil de l’enquête : (partie 1) → Le format est vertical, que ce soit sur le téléphone ou sur une tablette → Nous sommes obligés de remplir plusieurs étapes de son profil (âge, localisation, études, centres d’intérêt…) → Si on décide de ne pas tout remplir, on voit des pourcentages en rouge s’afficher des chances que nous manquons + la mention « profil incomplet » → Les questions posées sont plus ou moins intrusives (de l’animal préféré à l’orientation sexuelle). → Tinder propose les Options payantes dès le téléchargement et on doit entrer un moyen de paiement → Tinder nous rappelle souvent les options payantes : masquer sa localisation, masquer son âge (Tinder+), augmenter son référencement, ses matchs, voir qui a consulté notre profil (sinon que des nombres) → Ensuite on nous amène sur une page où la photo des gens en grand, il y l’âge de la personne, et le début de la biographie. → Quand on match, un grand cœur vert apparaît et il y a une mise en scène de jeu vidéo. C’est satisfaisant : (décharge de dopamine). On doit aussi envoyer un message directement sinon le match s’annule. (sentiment de pression)

Observations et premiers ressentis issus de notre première utilisation de Tinder avec le profil de l’enquête : (partie 2) → Beaucoup d’informations dès les 5 premières minutes d’utilisation → Nous sommes forcés d’accepter les conditions générales d’utilisation → Quand on envoie un 1er message, encore une fois obligatoire d’accepter critères de confidentialité → Pour s’inscrire nous sommes obligés de mettre numéro de téléphone et notre email → Lorsqu’une notification apparaît il y a un sentiment d’urgence de la tâche à accomplir par la notification (bruit et affichage) → On doit obligatoirement mettre sa localisation → Il y a un module de présentation de l’application (rendre l’utilisation plus facile et fluide) → Tinder envoie beaucoup de mails (plusieurs par jours pour nous relancer et nous inciter à venir sur l’application). (De nouveau un sentiment de pression)

Qu’est ce qu’un match ? Quand deux profils se swipe mutuellement vers la droite, on parle d’un match. Les deux utilisateurs.trices peuvent alors échanger.

Entretiens utilisateurs :

  • Entretiens avec des utilisateurs de l'application, rencontré par le biais de notre profil : après avoir matché, nous avons discuté au sujet de l'expérience de notre match et avons fini par proposer des entretiens.
Exemple d'un entretien plus long:
  • Difficultés car plusieurs matchs ne prenaient pas notre enquête au sérieux et cherchaient des expériences de sexe à plusieurs avec notre groupe d'enquête, requêtes que nous avons rejetées.
  • Une fois que nous avons trouvé un match prenant au sérieux l'enquête, nous avons proposé un entretien, que nous avons fait par appel pour des raisons de sécurité (et dont la transcription est sur le compte-rendu détaillé sur la pasge 'Analyse').
Entretien avec un spécialiste :
  • Nous avons contacté plusieurs addictologues du numérique et du sexe ayant rédigé des articles sur les sites de rencontre, jusqu'à présent (31/10/24), aucun d'eux n'a répondu.

Entretiens

Entretien : Pourquoi as-tu téléchargé Tinder et quand ? L’as-tu déjà désinstallé ? Début septembre 2024. Grindr ça suffit (parce que Tinder est plus soft), et il y a “plus de monde qui sont là pour des choses différentes” sur Tinder. Non, je n’ai jamais désinstallé puis réinstallé l’application. Pourquoi ce besoin de changer de Grindr ? Car c’était toujours la même chose, et “il y a plus d’offres” sur Tinder. Temps d’utilisation ? Dix minutes par jour As-tu observé une baisse de ton niveau d’attention depuis que tu utilises Tinder ? Pas spécialement, il n’était déjà pas très haut. En effet, j’ai déjà l’habitude d’être sur ton téléphone, et Tinder reprend les codes d’accessibilité facile. Est-ce que ça a abouti à des relations qui t’ont satisfait ? Ou au contraire, es-tu déçu de tes expériences ? Non, du tout. Spontanément je ne recherche pas d’amis sur Tinder. Ce genre d’outil ne permet pas de rencontre pérenne. Mais ça peut déboucher sur une relation cordiale. Pourquoi as-tu décidé de te mettre sur un site de rencontre? Par manque d’opportunités dans la vie réelle. Est-ce que tu as déjà ghosté quelqu’un ou tu t’es fait ghoster ? Si oui, comment cela t’a-t-il affecté? Les deux, oui. >S’être fait ghosté: message envoyé, jamais répondu. Je ne demande jamais pourquoi. Ça “fait partie des règles implicites”. >Ghoster: pas de raisons particulières, avant tout de la flemme. En voyant le profil, si je n’ai rien qui me vient je ne vais pas me forcer à lancer une conv. Des règles implicites, tu dis ? Oui, du fait de l’usage, des normes se créent. “Règles de bienséance sur Internet”. Par exemple, tu n‘harcèles pas de messages si l’autre ne répond pas. Y a-t-il d’autres règles ? Si tu es bloqué, tu joues le jeu, tu ne vas pas voir les autres façons que tu as de contacter la personne pour la harceler. Qu’est-ce que tu aimes le plus sur Tinder ? Qu' est-ce que tu aimes le moins ? >Le plus: C’est plutôt ce que je déteste le moins: c’est moins animal que Grindr. Il y a un semblant de civilité. Assez structurel, ça fait moins marchandage que Grindr ( qui est comme un catalogue Amazon). Il y a un semblant d’humanisation du délire. Tu ne vois pas 1500 personnes d’un coup. Tu vois une personne, puis l’autre, puis l’autre. Tu fais un peu ton marché mais tu ne compares par les personnes elles-mêmes. Même symboliquement il y a un truc. Tu ne t’attaches pas simultanément à cinq personnes. >Le moins: Ça reste très hors sol et très virtuel. De fait, par nature ça ne peut que l’être. Car c’est une application. Par définition, c’est un espace virtuel de rencontre. Donc ça ne peut pas être concret initialement. Pas tout de suite. Même si j’avais eu des rendez-vous en vrai, j’aurais pensé pareil. Au lieu de rapprocher les gens, est-ce que tu penses que cette application crée plus de méfiance ? C’est plus un prétexte pour que les gens se rencontrent. Je suis quand même moins méfiant dans la vraie vie. Tu es assujetti au hasard, aux rencontres que tu fais. Alors que là, tu es dépendant d’un algorithme qui dit que tu apparaîtras ou pas dans la myriade de profils. As-tu l’impression d’être plus entouré depuis que tu as Tinder ? Du tout, ça n’a absolument rien changé. Aussi parce que la situation dans laquelle je suis fait que je ne suis pas seul. J’ai un cercle présent, amical et familial. Ça n’aurait pas été pareil si j'étais un type de 40 ans dans la misère affective. C’est relatif à énormément de choses: une époque, un espace, des situations. As-tu utilisé des applications de rencontres pendant la pandémie ? Oui, c’était une époque trouble. Grindr, Hoop (basé sur snap, très glauque), Yubo (tu peux faire des lives et n’importe qui se branche, tu peux swipe sur les gens. Mais application dédiée aux 15-18 ans). C’est un peu glauque de laisser à des gamins de 12 à 17 ans un espace en ligne en plein confinement. Délétère car sursexualisation du truc, les gens mentent sur leur âge. Les besoins physiologiques d’un mec de 16 ans et d’une gamine de 12 ans ne sont pas les mêmes. Mais ça m’a permis de me sentir quand même moins seul. Avec les cours à la maison. En plus, j’étais nouveau dans mon lycée. Reçois-tu beaucoup de notifications Tinder ? Si oui, comment te sens-tu vis-à-vis de leur abondance ? Assez peu, en vrai. Je match assez peu. Trois par jour, alors que j’utilise tous mes likes. As-tu un abonnement payant ? Non non non, je n’ai pas d’abonnement. Car j’ai autre chose à faire de mon argent. Même par principe, je refuse d’avoir à faire une transaction pour ça. Est-ce que tu avais un but précis en installant l’application Tinder ? C’était assez pluriel. Pas juste une chose. Finalité assez charnel au truc. Du moins sur ma présence. C’est plutôt le soir dans un lit. Ça me paraît différent de se mettre en couple par ce moyen là. J’ai un certain blocage. Les représentations que j’ai toujours eu de la relation amoureuse ne passaient jamais par ce genre de moyen. Donc c’est inenvisageable pour moi. C’est surtout du fait du caractère média que ça me parait inenvisageable. « Média »? Oui, média dans le sens d’interface entre deux personnes, deux entités. Médiation de la structure en elle-même. Comment te sens-tu par rapport aux photos de Tinder ? Globalement osef. Y’en a qui sont bien prises, d’autres moins. Je ne porte pas de jugement de valeur là dessus. Ça t’a déjà complexé ? Complexé si, quand tu regardes une image de quelqu’un d’autre tu as toujours une sorte de point de référence qui est toi-même. Ça a pu m’arriver plus jeune. Qu’est-ce que les photos du profil Tinder devraient refléter selon toi ? Ce que la personne veut que ça reflète. Tu aimes faire du billard, tu fais une photo de billard. Je n’ai pas de vraies expectations de ça. Il y a une certaine liberté à avoir. Ça reste une façon de montrer assez primitivement à quoi tu ressembles. Comment as-tu choisis les tiennes ? J’ai mis les photos dans lesquelles j’étais un peu près potable, et qui changent un peu de la photo miroir. Est-ce que la photo me plaisait ou pas, voilà. Je ne retouche pas mes photos. Peux-tu décrire le design ? Quand tu entres tu es confronté à des tuiles que tu peux swiper. Le focus est mis sur l’autre personne. Il y a un encart en haut à droite pour modifier ton profil,l'endroit le moins accessible par tes pousses…contrairement aux boutons de swipe ! Puis en bas il y a les options payantes: la transaction à portée de pouce. Il y a un focus sur la finalité: l’autre que tu cherches à rencontrer. Un focus sur la potentielle transaction qui peut s’en suivre, ou pas. Elle peut émaner du manque de relations. Toi ce que tu montres aux autres est assez secondaire. Plus spontanément, c’est la photo, l’image physique que tu as en premier lieu. Pas du tout ce que peut être la personne. As-tu l’impression qu’il pousse à des comportements précis ? Oui, je pense que ça peut. Mais, c’est extrêmement dépendant du statut qu’à la plateforme sur chaque personne. Pour quelqu’un pour qui c’est la bouée de sauvetage affective, ce n’est pas comme pour une personne qui se demande qui va venir dans sa garçonnière ce soir. Il y a des stratégies comme le fait d’économiser des likes. C’est une sorte de pari que tu fais sur les profils suivants. C'est une stratégie assez malsaine je trouve. Pour le profil, il a la question de la photo, les images physique et mentale que tu renvoies de toi: ta musique, tes passions. Tu dois trouver promptement celles qui te viennent le plus rapidement. Tu les remplis mécaniquement à la création du profil pour accéder le plus vite possible à la finalité. Il y a aussi la stratégie de supprimer la conv. Stratégies d’internet qu’on n’a pas dans la vraie vie. Le simple fait d’envisager le truc ça fait vite black mirror. Tu qualifierais ton expérience avec Tinder de positive ou de négative ? Plutôt positive, pour l’instant. Surtout en l’absence de choses négatives. Plutôt neutre. Nettement moins négatif que d’autres choses, mais pire qu’une rencontre dans la vraie vie. Je n’accepte pas les rencontres car je suis loin, je n’ai pas le temps. Mais alors pourquoi y es-tu ? Je pense que c’est une manière de combler un vide affectif, de personne à personne qui n’est pas…c’est peut-être un peu par dépit. Depuis que j’ai Grindr, c’est dans mes habitudes. C’est juste une appli de plus. C’est un prétexte pour parler avec des gens. En parlant plus ou moins longtemps, plus ou moins ponctuels. Permet de découvrir des gens qui ne sont pas du même cercle économico-académique que moi. Il y a un certain bienfait, côté un peu sympa. Comme tu es bien moins restreint spatialement et socialement. C’est une façon importante de faire des rencontres non déterminées par ma classe sociale. Du fait de mes loisirs, de mes études, je ne fréquente que des gens de classes moyennes qui font des études. Masters dans des universités parisiennes, à Sciences Po, à l’école d’ingé. Toujours le même type de personne. Tu as moins ce déterminisme sur Internet. C’est devenu une habitude. J’ai toujours eu ce genre de plateforme sur mon téléphone. Est-ce que tu t’es déjà demandé comment Tinder fonctionnait ? Non, je n’y ai pas vraiment pensé. Mais je pense que le rating permet de reproduire un idéal esthétique bourgeois. As-tu déjà envisagé de consulter un professionnel de santé (psy) ou l’as-tu déjà fait ? Non Est-ce que tu préfères rencontrer des gens en ligne ou en vrai ? En vrai Quelle proportion de personnes as-tu rencontrées en vrai ? 0 Que ressens-tu quand tu reçois un like ou quand tu match ? Une sorte de petite poussée d’égo. Égo entretenu fait toujours plaisir, comme si tu recevais un compliment. Mais j’y suis tellement confronté depuis tellement longtemps, que j’en suis insensible depuis longtemps. Au début j’étais tout content quand je matchais, mais à l’usure tu sais que 80% de chances que tu ne parles pas plus de 10 minutes avec cette personne là. Tinder a-t-il eu un effet sur ta confiance en toi ? Je pense que oui (positivement), mais je ne le perçois plus. Avant, je prenais les choses assez à cœur. L’importance que j’y attache est devenue tellement secondaire. Si j’avais plus de like ou que c’était illimité, je passerais plus de temps sur l’appli

Les questions du Google Form sont variées et laissent plusieurs choix aux répondants :

  • Des réponses à choix unique (âge, temps d'utilisation de l'application...);
  • Des réponses sur une échelle (pour donner le degré d'importance de différents éléments des profils Tinder);
  • Des réponses textuelles (pour leurs avis et commentaires).
Une limite : nous avons eu seulement une vingtaine de réponses, donc le questionnaire ne peut être exhaustif et doit être croisé avec d'autres méthodes. Il est néenmoins utile pour recueillir des verbatines.

Le Google Forms

Résultats du Google Forms

Lien du questionnaire : Pour des raisons d’affichage, nous ne pouvons pas copier-coller le tableau excel avec les réponses, vous pouvez les y trouver à ce lien :

Judith Duportail utilise l’expression « Dating Fatigue » pour caractériser ce sentiment de lassitude et d’épuisement liée à la surstimulation des utilisateurs par l’application. Selon un sondage réalisé aux Etats-Unis, 80% des personnes interrogées ressentiraient de la fatigue émotionnelle liée aux applis de rencontre. Ce phénomène est donc loin d’être marginal. Certains évoquent même un état de burnout directement causé par ces applis de rencontre, état qui se distingue par trois caractéristiques : 1. épuisement émotionnel : sentiment d’être vidé de son énergie par l’appli causé par la navigation continue dans un océan de profils et d’interactions avec des partenaires potentiels.2. Inefficacité : sentiment de découragement. Avec autant de choix et d’accès à des partenaires, les utilisateurs sont terriblement déçus s'ils ne parviennent pas à accomplir leur but. Le large choix augmente aussi la probabilité d’être rejetée, qui est une source de stress émotionnel. 3. dépersonnalisation : se sentir cynique, détaché, distant émotionnellement des autres utilisateurs, jusqu'à les percevoir comme des objets et non plus des personnes réelles derrière leurs écrans. Le « dating app burn-out » est donc un stress chronique qui accompagne l’utilisation des applications de rencontre. Il est dû à plusieurs facteurs : ➢ L'accessibilité 24/24h à l’application et le contact permanent avec les autres utilisateurs laisse peu de temps aux individus pour récupérer et prendre du recul entre les conversations : le business model des firmes s’appuie sur notre peur de rater des partenaires potentiels - ce que les chercheurs appellent la FOMO, ou fear of misssing out - pour nous pousser à être connectés en permanence. ➢ Et, ce qui nous intéresse particulièrement ici, la sur-sollicitation par les notifications. Remarquons ici que le problème des notifications ne se cantonne pas à Tinder, loin de là. A titre indicatif, nous recevons environ 200 notifications par jour, soit 8 par heure ou, autrement dit, une notification toutes les sept minutes. Mais la particularité de Tinder réside dans sa capacité à proposer des notifications personnalisées et adaptées selon la période. Rosie Hoggmasscall a publié un article très intéressant sur le sujet, dans lequel elle analyse les résultats de l’expérience suivante : elle télécharge Tinder pendant 30 jours et analyse les notifications qu’elle reçoit, mettant au jour une stratégie bien pensée de l’entreprise pour pousser l’utilisateur à revenir sans cesse sur l’application sans le dégoûter par une surcharge de notifications ou au contraire le délaisser par une quantité de notifications trop faible. Ces notifications sont ciblées selon les besoins et les pratiques de l’utilisateur. Elle découpe les 30 jours en quatre semaines : ➢ Semaine 1 : les notifications sont essentiellement centrées sur la mise en valeur des actions principales — swipe, match, chat. Des incitations à matcher sont régulièrement envoyées. Exemples : Somebody likes you 😍 Open Tinder to see who. / Don’t keep your match waiting. Send them a message 💌➢ Semaine 2 : Rosie Hoggmasscall observe une baisse significative des notifications, dans le but de prévenir toute action des utilisateurs visant à désactiver les notifications dans le cas où elles seraient trop nombreuses. ➢ Semaine 3 : a contrario, la semaine 3 voit un regain des notifications pour inciter l’utilisateur à venir sur l’appli en mettant l’accent sur des set-up tasks : mieux paramétrer pour personnaliser l’offre, passer plus de temps sur son profil pour le rendre plus attractif (ajouter une bio, des photos…). Ces notifications se répètent tout en révélant progressivement les différentes fonctionnalités pour ne pas submerger les utilisateurs. En outre, les notifications sont attractives, avec des émojis, et prennent le ton d’un ami. Exemples : We’re sure you’re great, but no one would know because your bio has no words, just vibes. / Big FOMO is real. Short bio > no bio so add one now to give them another reason to match with you 👉➢ Semaine 4 : cette fois-ci, les notifications sont centrées sur des publicités pour des versions payantes, avec la particularité qu’elles sont extrêmement concises et incitatives par dessus limites de temps : ONE HOUR LEFT! ⏰ 50% off Tinder Gold!Enfin, notons qu’à un certain point, ne pas recevoir de notifications peut paradoxalement nous pousser à consulter plus notre téléphone ou l’application dans l’attente de recevoir une notification : une fois l’addiction bien installée, les applis peuvent également jouer dessus en rythmant intelligemment l’envoi de notifications. a.

Une surcharge cognitive... ou comment notre santé mentale est polluée par les notifcations de Tinder

Quand nous avons posé la question du motif de l’utilisation de Tinder pendant nos entretiens, la réponse du lien social est revenue à plusieurs reprises. Seul moyen de rencontrer des gens au milieu d’une « détresse affective », ou bien volonté de diversifier les origines sociales de son entourage, Tinder se fait l’intermédiaire de rencontres qui n’auraient peut-être jamais existées sans l’application. Mais quel lien peut-il y avoir entre interactions médiatisées par Tinder, et santé mentale ? Ce lien s’est intensifié pendant la crise de la COVID 19. Alors que des milliards de personnes étaient enfermées chez elles et coupées du reste du monde, les outils de rencontres virtuels ont vu leurs usages s’intensifier. 60% des membres actuels de Tinder s’y sont inscrits pendant la pandémie pour surmonter la solitude et pour rencontrer de nouvelles personnes.« Quant à la génération Z, elle utilisait Tinder dans le but spécifique de rencontrer de nouvelles personnes et ainsi sortir de son cercle habituel : 40% des membres de cette population se rendaient sur Tinder pour rencontrer des « personnes nouvelles et différentes ». Portées par la même tendance, les interactions sociales sur Tinder ont également augmenté pendant la pandémie. Sur l’application, la génération Z a passé davantage de temps à discuter, avec 19% de messages supplémentaires envoyés par jour en février 2021, comparé à février 2020. Une augmentation qui s’est notamment traduite par des conversations 32% plus longues pendant la pandémie. Pour alimenter la conversation, les membres mettaient leur bio à jour plus régulièrement. Chez la génération Z, les bios étaient mises à jour environ trois fois plus souvent qu’avant la pandémie et deux fois plus que chez les Millennials. Les bios rédigées pendant la pandémie concernaient d’ailleurs des sujets plus actuels, mentionnant aussi bien les élections aux États-Unis que du contenu populaire comme La Chronique des Bridgerton, un des derniers succès de la plate-forme Netflix. » Source: Tinderpressroom (avec Gen Z= 18-25 ans)Un des utilisateurs interrogés au cours d’un entretien nous a confié multiplié les plateformes pour garder du lien social pendant cette période difficile (Tinder, Yubo, Hoop, Grindr, …). « Ça m’a permis de me sentir moins seul, avec les cours à la maison…et j’étais nouveau dans mon lycée… ».Cet argument a même été mis en avant par Tinder dans un communiqué de presse: « Une nouvelle rencontre peut faire toute la différence, et pouvoir discuter avec quelqu’un, peu importe où l’on vit, peut permettre de se sentir moins seul•e. »Mais si certains ont pu trouver leur bonheur avec les messageries de Tinder, une autre personne nous a confié qu’elle se sentait davantage seule, en parlant avec autant de gens en même temps. Un des évènements qui ne l’a pas aidé, c’est d’avoir été ghostée par un profil qu’elle appréciait et auquel elle s’était attachée. Le ghostage est une autre notion liant Tinder à la santé mentale. Si ce concept désigné comme la fin abrupte de toute communication avec une personne, sans aucune explication, est pratiqué sur Internet à une large échelle et peu s’avérer assez machinale; elle devient plus sensible sur Tinder puisqu’il se veut lieu de rencontres amoureuses, demandant un certain dévoilement et un partage de soi parfois assez intime. Quand on s’ouvre à une personne qui nous ghoste du jour au lendemain, cela provoque de la douleur, et des sentiments de rejet et d’incertitude. Cela ébranle l’estime de soi et peut accroître l’anxiété.À l’inverse, la personne qui ghoste peut manifester une difficulté p gérer les relations de façon directe et honnête. Tinder, au courant de cette pratique très commune (à tel point qu’un utilisateur interrogé nous a confié ne pas insisté après avoir été ghosté car ça faisait partie des « règles implicites »-> nouvelles normes), tente néanmoins d’opérer une inversion de valeur en mettant en avant, dans un article, les « 7 situations dans lesquelles le ghosting se justifie ». Il cite notamment des échanges irréguliers/excessifs, du catfishing (faux profil; cela peut aussi impacter la santé mentale comme l’a décrit Juliette Katz dans un épisode de son Podkatz), malaise, etc. Tant de pratiques et d’appropriations de l’application, avec pour l’utilisateur des conséquences sur sa santé mentale.

Manière de se parler/ de se faire ghoster: quel effet sur notre santé mentale ?