Want to create interactive content? It’s easy in Genially!

Get started free

Delfine Guy

N2L - Claire DURAND-ARBOUCHE

Created on August 29, 2024

Start designing with a free template

Discover more than 1500 professional designs like these:

Practical Presentation

Smart Presentation

Essential Presentation

Akihabara Presentation

Pastel Color Presentation

Modern Presentation

Relaxing Presentation

Transcript

© Aprim

Violette Comtesse Un dialogue entre Delfine Guy et la comtesse de Ségur

Commencer

Violette Comtesse tisse deux dimensions artistiques : l'écriture, à travers des lettres adressées par Delfine Guy à la Comtesse de Ségur, et l'illustration, inspirée de la trilogie de Fleurville. Cette exposition vous invite à une plongée dans l'imaginaire liée à l'œuvre de la comtesse de Ségur, mais aussi à explorer les enjeux de la condition féminine et de la complexité des identités de fille, de femme, d'autrice, de mère, de grand-mère, ... Autour d'illustrations riches de détails à élucider et correspondance mettant en jeu un dialogue entre intime et social, une magnifique ode à la sororité. Delfine Guy, alias Andréa Taos, est née dans les Ardennes. C’est au bord de la Meuse qu’elle s’est mise à rêver dans la pierre et que lui sont venus ses premiers dialogues avec l’eau. Également plasticienne et danseuse orientale, elle travaille aujourd’hui autour du mouvement, sur la condition et le corps des femmes, les micro-organismes, et continue, de faire écho aux mondes aquatiques et au règne minéral.

Découvrez à travers l'interview de la créatrice ses sources d'inspiration et ses techniques de travail.

Plongez-vous dans les œuvres graphiques et écrites proposées par Delfine Guy.

© Aprim

Delfine Guy, quelles ont été les sources de ce projet ?

Suite

Quels liens avez-vous développé avec la comtesse de Ségur ?

Suite

Quels sujets avez-vous pu mettre en dialogue avec l'œuvre de la comtesse de Ségur ?

Suite

Quelles inspirations avez-vous suivies pour les œuvres visuelles ?

Chaque œuvre obéit à un processus de visualisation et se construit à partir d'un leitmotiv. L'espace représente une sorte d'énigme que chaque motif imbriqué au suivant vient résoudre. L'anachronisme y est la règle, les échelles, la perspective ne sont pas respectées. Ce qui importe, c'est la manière dont les formes, les visages, les fragments de paysages résonnent et se font écho. Je me suis inspirée à quatre reprises des illustrations de Bertall, qui sont celles que j'ai connues dans les ouvrages illustrés de mon enfance. La technique employée, sur une base d'acrylique, mêle différentes textures : pastels secs, pastels à l'huile, craies à la cire, crayons de couleur, graphite, vernis à ongles, fard à paupières, aquarelle, marqueurs acryliques, Bic.   La signature est un pseudonyme : TAOS.

Suite

Veux-tu être ma fille et la sœur de tes amies ?

Ce titre général est tiré du roman Les Petites Filles Modèles. Dans une scène brève mais magistrale, Madame de Fleurville pose à Sophie cette question : « Qu'en dis-tu, ma petite Sophie ? Veux-tu aller en pension ou aimes-tu mieux rester avec nous, être ma fille et la sœur de tes amies ? » J'y entends une belle expression de la sororité et de la manière dont nous pouvons donner à nos vies un nouvel élan. La fresque de 5 toiles est consacrée à la trilogie de Fleurville. Cette dernière regroupe Les Malheurs de Sophie, Les Petites Filles Modèles et Les vacances. J'ai choisi de m'appuyer sur ces trois romans car on y retrouve de nombreux animaux ainsi que des objets à l'origine des mésaventures que partage la bande de cousins et amis, qui souvent provoquent aussi leurs prises de conscience et scellent leur réconciliation. Ils font souvent allusion aux richesses naturelles de la Normandie qui est devenue ma terre d'adoption.

Découvrir l'exposition

Cliquez sur chaque tableau pour le découvrir en détail, ainsi que des extraits des lettres rédigées par Delfine Guy.

Découvrez la totalité des lettres adressées par Delfine Guy à la comtesse de Ségur

À propos

Écouter la lecture de la lettre de décembre 1981

Découvrir des extraits de la lettre de décembre 1981

Retour au menu

Glaire, décembre 1981

Ma très chère comtesse de Ségur, Papa relâche à l'instant le déclencheur de son appareil photo. Clac. Les choses parlent à travers toute la maisonnée, et là, c'est le boîtier que papa tient contre son arcade sourcillère qui laisse entendre un déclic. Une station émerge. Ma chambre. Pas bouger. Seule l'attention du photographe peut infiltrer la scène, clic clac, la matière des objets se stabilise tandis que la pupille qui a visé rétrécit par surprise, en encaissant l'éclairage direct du plafonnier. La lumière et les zones opaques ont l'air de se faire la bise, pourtant, engloutir le décor est le but définitif que chacune des parties s'est fixé, je le sais, et c'est comme ça. Ma chambre, c'est ma chambre. Un L bouché par une monstrueuse armoire dont les portes sont des bajoues tristounes. Maman y range les manteaux d'hiver, des piles de draps, quelques costumes dans des housses zippées. Parfois, je tourne la clef à même l'estomac du monstre qui épanche alors une odeur de naphtaline. Les bras des vestes et les jambes des pantalons ont disparu sous le vinyle, à la place j'entrevois des éléments cintrés qui rappellent des bornes incultes. Aucune indication kilométrique par ici. Pas bouger. (...)

Suite

Vous souvenez-vous de votre arrivée à la maison, comtesse ? On vous a consacrée avec des fleurs, avec des mauves et des violettes, vos côtes ont été raffermies par de l'or fin. Quand je vous caresse, un peu de poussière accidente ma vie. Maman est soucieuse. Elle fait attention à ma prononciation mais que la surface des pages reste parfaitement plane lui importe tout autant. L'année de leur impression et celle de la prise de vue coïncident. D'ailleurs, chaque détail se met soudainement à répondre à un autre. Ma parure de nuit est d'une lisseur désirable, un feuillet parsemé de lilas. Le nom de Ségur ressemble à "serrure". Il me délivre et m'enferme. Je ne sortirai plus jamais de cette posture de lectrice. (...) Maman a commandé la collection complète. Tant que je me montre soigneuse, appliquée, je garde le droit de l'avoir dans ma chambre. Une ligne de comtesses toutes neuves qui fleurent bon l'imprimerie. Sur chaque tranche, la dorure est un appel à la tentation. En fin de compte, devenir une mauvaise personne ne prendrait que deux ou trois secondes. Maculer, corner, déchirer, pour devenir des actions il manque à ces verbes un véritable lâcher-prise. Et pourquoi pas lécher les carats qui vous rendent si précieuse ?

Suite

Seulement je ne brave les interdits que dans mes rêves les plus fantasques et ma chambre est un asile où le violet se décline dans toutes les contradictions. Pépiements des filles, timbre des mères. L'air entre en vibration dès que vous entamez un récit et vous êtes à jamais associée à cette famille violette. Ségur, serrure. Je sens que je vais dormir. Bouge, pas. (...) Au fait, vous ai-je dit que les habitants de ma maison de poupées portent les prénoms de vos protagonistes ? Madeleine a de longs cheveux blonds. Paul marche encore à quatre pattes. Charles vient à peine de naître. Léontine, la grand-mère, porte un éternel chignon. François est un adolescent plutôt calme. Sophie n'y est pas car elle est ma cousine pour de vrai, son prénom retentit dejà dans les moindres recoins de mon existence. Au revoir.

Suite

À propos

Écouter la lecture de la lettre d'août 1991

Découvrir des extraits de la lettre d'août 1991

Retour au menu

Glaire, août 1991

Chère Comtesse,L'été de mes quinze ans, deux changements mémorables ont eu lieu : mes parents se sont décidés à adopter un chaton, nous avons déménagé. Nous résidons toujours dans le même village, sauf que le dépaysement est devenu un standard. Un beau matin, il a fallu que je quitte les palpitations utérines de la maison ouvrière adossée à la roche. (...) La demeure bourgeoise pour laquelle mes parents se sont endettés est également d'un genre prodigue, mais les bruits qui en émanent sont des manifestations inquiétantes, repoussantes. Je passe mon temps à me demander ce qui va surgir, d'où et pourquoi. La Meuse coule désormais trop loin pour que je puisse me raccorder à ses furies. Ici, les crues ne risquent pas de remplir la cave d'une eau saumâtre et j'ai largement atteint l'âge de contenir par réflexe les débordements de mes propres rivières intérieures. C'est fou comme une fille peut être obéissante. (...)

Suite

La lecture est un excitant, mieux que le café noir, encore qu'elle engage totalement mon talent pour la disparition. Je découvre Dostoïevski, Tchékhov, Tolstoï. Ça me plairait de savoir parler russe un jour. La lecture est perçue avec ambiguité dans mon entourage. D'une part, elle est la preuve qu'un individu se cultive, développe des capacités intellectuelles. D'autre part, les lecteurs sont des mous qui ne savent rien faire de leurs dix doigts. L'ossature se recroqueville dans un fauteuil. L'index ne fait que tourner les pages. Les heures filent. Le lecteur n'est pas un agent actif de la société et il vaut mieux le refouler. Un lecteur est presque d'emblée perdu de vue. Mince ! Je croyais que l'invisibilité me protègerait, j'ai eu tort. (...) Ce que je me tue à vous dire, comtesse, comtesse, c'est que, pour en finir avec le phénomène de mise en veilleuse que vos petites filles n'ont cessé d'entretenir, j'aurais besoin d'un bon vieux contre-modèle. Un genre de baron perché, mais alors en chair et en os. Pas si simple de se désintoxiquer de la fiction. (...) Le décalage est définitif. Je ne suis la contemporaine de personne. Parfois, je me demande si par hasard je ne serais pas restée confinée quelque part à Fleurville, entre un secrétaire Empire et une commode de poupée. Vous savez, je fais partie des objets. Je me pose dans un coin, je lis et on m'oublie. Pfuit. (...)

Suite

Une question. Est-ce que vous écriviez des rêves avec vos sœurs ? Vous rêviez des histoires ? Lorsque nous avions dans les dix ans, Sophie et moi, on le faisait tout le temps. Une nuit sous une même paire de draps revenait à aller au cinéma. Une salle rien que pour nous deux. La réalisation, la mise en scène, le jeu et le spectacle relevaient d'une magie unique. Une fois que nous étions tombées d'accord sur les grandes lignes, les question de durée, de lieu, les actions incompressibles, il n'y avait plus qu'à se laisser aller. Ou presque. (...) Je vais devenir écrivain. Vous auriez dû être la première à le savoir. Pour le moment, c'est encore le maquis. Lorsque j'ai rassemblé mon courage et que j'ai annoncé la nouvelle à mes parents, ma mère a demandé toute tremblante tu auras un métier et tu feras ça le dimanche, hein, pour le plaisir ? Qu'est-ce qu'elle en sait du plaisir, ma mère ? Et de "ça", d'abord ? Je me suis promis aussi sec de turbiner tous les jours, y compris le dimanche. Pas de repos pour les cinglés. Soir après soir, je persévère ; à peine franchie la grille miteuse, avant le début des cours je remets un texte-missive à mon amie Hatidje qui est la fille que j'aime comme je peux seulement aimer et créer : incognito. (...) À bientôt.

Suite

À propos

Écouter la lecture de la lettre de novembre 1999

Découvrir des extraits de la lettre de novembre 1999

Retour au menu

Paris, novembre 1999

Ma chère Sophie, Quelle signature ! Dédicace aux petits-enfants, demandes adressées à monsieur Hachette - foutraque que je suis, j'admire la constance, le trait. On ne connaît pas tant de femmes que ça, qui soient de taille à inclure une identité plénière dans une griffe. Soleil en Lion, Vénus en Vierge. Une main de fer dans un gant de velours. Vous êtes parvenue à vous rendre maîtresse de votre existence, et quand vous inscrivez votre nom au bas d'un feuillet, une réponse arrive, de l'argent, des commandes aboutissent, bravo. Moi, je suis carrément en dehors des quadrillages. J'ai pris un pseudo, et ce qui est sûr, c'est que si j'avais dû attendre d'être grand-mère avant de me colleter à l'écriture, j'aurais perdu l'esprit. Ou rampé comme une chenille sans possibilité de métamorphose. J'aurais dépéri. Attendez un instant, je vais me resservir un café. (...)

Suite

(...) Vous n'êtes plus la filleule du tsar, gratifiée d'un percepteur français, désormais c'est vous qui transmettez le français en tant que langue maternelle à votre progéniture. De quel espace du dedans le faites-vous ? Les fugitifs, les voyageurs sans guide, les bagnards au nombre desquels on peut compter aussi les plantes des jardins d'acclimatation (avec leurs noms déracinés puis réimplantés) font tanguer la grammaire. (...) J'ai appris qu'il existe des langues-hospices et des langues-prisons. Un même idiome peut conduire à une terre d'accueil ou dérouler des barbelés en guise d'horizon. Des chiens renifleurs sont dressés pour signaler les pérégrins illicites aux postes-frontières. La plupart des immigrés que j'ai par la suite sondés là-dessus se souviennent du moment où ils ont cessé de rêver dans leur parler originel. Et vous, que pouvez-vous m'apprendre à ce sujet ? Est-ce que le russe a encore un goût, une saveur ? Est-ce que vous accouchez en russe ? Dans quelles intonations allez-vous mourir ? Je reste plantée là, songeuse, mordant à vos s ferrés. (...)

Suite

(...) Si je devais, Sopholetta, tenir à votre intention une liste des chocs littéraires, je resterais assise à mon bureau, à effeuiller une marguerite extravagante dont les degrés d'amour ne s'abaisseraient pas en deça des papillons dans le ventre, des battements désordonnés du coeur, des déclarations. Jusqu'à elle. Marina. Pas un choc parmi d'autres, un choc à la suite des autres, non. Cette femme est une bombe. Nos morceaux se sont mélangés. Elle s'appelle Marina Tsvétaïeva. Russe, comme vous. Vous trouvez que j'exagère ? Que je prends les rencontres trop au sérieux ? Dans le fond, c'est encore toujours par vous que l'histoire prend sa source. La domesticité, le fouet, les bois que votre père fait fructifier, Voronovo aux 4000 serfs, le pain sec, les attaches familiales, la solitude en dépit du nombre, vos entêtements - tout cela instillé dans les livres puis introduit dans les petites caboches de vos lectrices. Eh bien, avec Marina, ce processus a été court-circuité. À la place, j'ai reçu une transfusion de ses poèmes. J'ai aimé Marina et commencé à rêver en russe, sans transition. Un camion cahotait, me transportant avec d'autres, à travers un trou dans le plancher je voyais filer la campagne de Crimée. Répondez-moi, vite.

Suite

À propos

Écouter la lecture de la lettre d'avril 2012

Découvrir des extraits de la lettre d'avril 2012

Retour au menu

Comtesse Sophie, La figure paternelle a quitté la maison. Il existe des tas d'expressions toutes faites à même de résumer la situation. Il a plié bagages. Il a filé à l'anglaise. Il a pris la clef des champs. Il a pris ses cliques et ses claques. Il a mis les voiles. L'est parti acheter des cigarettes. Comprendre : on ne l'a jamais revu. Papa barré. (...) N'a laissé qu'un patronyme. Ni bleu ni rose. Ni rose ni chou. Drôle de layette, n'est-il pas ? Reste la mère et le bébé. Là aussi, une liste de locutions a copieusement été enrichie au fil des ans, laissant croire qu'il est possible de modéliser cet exemple de maternité, alors qu'il n'y a pas plus inimitable qu'une femme élevant seule un ou plusieurs enfants. Mère célibataire. Mère isolée. Maman solo. Famille monoparentale. Si j'en crois mes brèves recherches, à votre époque le terme "fille-mère" suffisait à désigner toute femme ayant accouché hors mariage, peu importe son âge, sa condition sociale. Enfant, j'ai entendu des gens le seriner, toujours à propos de personnes jeunes qui avaient pondu un gosse avant d'être en mesure de garantir son éducation. Le compteur des fautes oscillait entre morale et argent, en passant par le fait d'avoir écarté les cuisses de façon précoce. L'indignation était parfois si grande qu'on pensait plus à un acte de bravoure qu'au péché. (...)

Paris, avril 2012

Suite

(...) J'ai carrément passé l'âge de susciter l'exaspération des villageois qui lorgnent sur l'ado traversant la route hors des clous, un nouveau-né au fond d'un landau. Mais c'est quand même ce que ma situation, qui est celle de milliers d'autres femmes, provoque. Dans les administrations, il y a une case prévue à cet effet. Le casse-tête se déploie désormais en l'espèce d'un vaste damier sociétal. Voici le minuscule carré qu'il ne faut pas oublier de cocher, sous peine d'être prise ou comprise pour ce qu'on n'est pas. Une veuve, par exemple. Une femme mariée, divorcée. Dans "veuve", n'importe qui entend un homme existe mais le pauvre il est mort. Le mariage fait rappliquer automatiquement Adam et Ève dans l'imaginaire collectif. Le divorce étant un démariage, on aura pigé que monsieur reste dans le coup, quelle que soit la suite envisagée au programme. Fille-mère, c'est autrement plus excessif, non ? (...)

Suite

(...) Deux semaines. C'est le temps qu'il me reste. Qu'il NOUS reste. Deux semaines pour procéder au sevrage. J'empeste le lait et mes chemisiers sont constellés d'auréoles. Mon torse refuse de se discipliner. Il expulse le liquide comme un octopus son jet d'encre. Et je ne veux pas qu'une machine me tire mon lait. Trop de sous-définitions dans ce verbe. Trop de balles à blanc. D'arrachements. De prises. En théorie, le père moderne est censé assurer la transition entre le sein et le biberon parce qu'il échappe à ce fastueux désordre physiologique. Mais notre père moderne à nous est retourné vivre chez sa mère. Il ne reviendra pas. Pour être certaine qu'on ne lui enfourne pas de force la tétine en caoutchouc, en braquant sur moi un regard obstiné, Ambre obture ses lèvres en un sceau de cire rouge. Ce qui ne l'empêche pas de gazouiller. J'écris, elle babille. Je crois que je ne lui donnerai pas vos livres à dévorer. Et si elle venait à tendre l'autre joue ? Et si un homme visait cette joue ? Je suis fâchée, adieu.

Suite

À propos

Écouter la lecturede la lettre de juillet 2024

Découvrir des extraits de la lettre de juillet 2024

Retour au menu

Dieppe, juillet 2024

Chère Sophie, (...) J'espère que vous ne repousserez pas mes excuses. Après vous je suis devenue normande, et j'ai encore du mal à y croire. Mes manuscrits les plus essentiels n'ont jamais été publiés. Ils sondent les formes de la violence, pointent les beaux arbres de vitalité qu'on abat pour les mettre en travers de la route de certaines femmes pourtant décidées à rouler leur bosse. Ils parlent des métamorphoses de la chair, de la maternité, ce voyage que j'ai entamé il y a treize ans, au cours duquel je n'ai pas pris l'avion une seule fois. (...). Mes textes enfouis restent synonymes de lutte, de résistance. Ils me tiennent en gestation, dans une attente parfois haletante et destructrice. Les mots ardents les empêchent de crever, faute de lecteurs. (...)

Suite

(...) Il s'est passé tellement de choses et j'ai tant pensé à vous, ma chère comtesse. Pas plus tard que le mois dernier, en fouillant dans les vieilles malles du Web en quête d'un petit rien vous concernant, j'ai appris que votre cœur était visible à la Visitation, à Paris. J'ai su comment Camille est morte, à la suite de révélations sordides concernant son époux, prise en étau entre maladie et mal-être. Foutue. Belle et condamnée. Des inconnus postent des photos des tombes où gisent vos enfants et petits-enfants. Apparemment, vous vous êtes démenée comme une folle pour que chaque membre issu de votre sang reste à flots. Soit en vie. Aime sa vie. Folie à la Ségur ? Amour pur et dur ? Et vos céphalées ? Les semaines d'alitement ? L'apathie que mentionnent vos biographes. Sans compter vos efforts religieux pour garder contact avec un fils et une fille retirés du monde. J'ai guetté dans la trilogie de Fleurville les évocations de la corporéité. Souvent, telle une sibylle normande parlant la langue des oiseaux, vous rusez en ralliant le pelage, les épines, la fourrure, les griffes, les crocs afin d'exprimer ce qui arrive aux héroïnes de vos fictions. (...)

Suite

D'abord, je ne voulais pas que ma fille lise vos livres parce que je redoutais plus que tout qu'elle devienne une petite fille modèle et se fonde dans le décor. La perspective que ses bras et ses jambes soient bloqués ou qu'on la dissuade de passer à l'action générait des angoisses impossibles à calmer. Mais Ambre est une insubordonnée de naissance. (...)Longtemps j'ai été sûre et certaine que j'étais incapable de me défendre par votre faute. J'avais appliqué vos préceptes sans prendre garde au dosage. L'assentiment était comme une drogue et je me trouvais mal sitôt que je dérogeais. Les autres avant tout. Toi avant moi. Chut. Pas moufter. (...) Votre lieu de vigilance s'appelait "Les Nouettes", cet endroit avait beau fourmiller de domestiques, vous avez aussi peu dormi qu'une maman solitaire, avec tous ces maris et gendres qui fichaient le camp, fortune en poche. Dans les livres, les femmes ne quittent pas d'une semelle les petits. Parfois, les femmes meurent et d'autres prennent en charge les orphelins. Je me sens plus proche de vous que jamais car, au fond, je n'ai jamais cessé d'écrire sur la sororité. Dès le moment où je me suis retrouvée seule avec un bébé, j'ai découvert que certaines femmes voulaient ma peau et que d'autres, véritables louves, agissaient et réagissaient par instinct, main tendue. La mémoire du corps permet de reconnaître un besoin du moment qu'on l'a soi-même éprouvé un jour.

Suite

(...) Je rédige cette ultime lettre depuis un rivage flamboyant. Une jeune femme m'a invitée à écrire pour la revue qu'elle a créée. D'autres mers font partie de l'aventure. Poètes, autrices, inventrices d'un grand large qui comprend les couches, les purées, les courses, la serpillère, le chiffon. Vous souvenez-vous du paquebot sur lequel une adolescente privée de lien embarquait sans passeport ? Oui ? On dirait que je peux enfin reprendre cette odyssée au stade de la joie. En compagnie des étrangères très proches. Nos voix existent, quelque part, au fond d'une caverne, d'un crâne, d'un coeur , enregistrées. Nous faisons visitation en dépit de la distance. chacune amarre le temps de lire un fragment, un poème, un texte nourricier. Voulez-vous être des nôtres ?

Suite

Pour aller plus loin

Découvrez la totalité des lettres rédigées par Delfine Guy à la comtesse de Ségur.

L'exposition est visible du 05 au 23 novembre 2024 à la bibliothèque Saint-Sever à Rouen. Elle est empruntable auprès de Normandie Livre & Lecture.

Découvrez le site Normandie terre d'écriture et nos autres expositions.

Suite

Remerciements

Un merci tout chaleureux à Delfine Guy pour s'être confrontée à l'œuvre de la comtesse de Ségur. Merci aux bibliothèques de Rouen pour l'accueil de l'exposition physique et des rencontres organisées le 16 novembre 2024.

Coordination de la commande artistique : Cindy Mahout Mise en forme de l'exposition virtuelle : Claire Durand-Arbouche et Sophie Noël

J'étais donc partie pour m'adonner à de vastes recherches, je me voyais disparaître sous des piles croulantes de livres. Mais cela ne s'est pas déroulé ainsi. En prenant de simples marques, je me suis rendue compte que Sophie Rostopchine et moi avions de nombreux points communs. D'abord, je lui dois mon amour des mots et elle n'est sans doute pas pour rien dans le fait que je me sois mise à écrire envers et contre tout. À mesure que je composais mon texte, j'ai été sidérée de constater que nos voix résonnaient à l'infini. J'aurais pu explorer tous les thèmes qui me sont chers en miroir avec la vie & l'oeuvre de la comtesse et je pense aujourd'hui que nous avons oublié qu'elle était avant tout une femme. Une personne certes de haut rang, jouissant de privilèges, mais dotée d'antennes quant aux réalités auxquelles chaque membre de sa famille se trouvait confronté. Je donnerais cher pour que tombe entre mes mains une auto-fiction réalisée par Sophie Rostopchine, devenue Comtesse de Ségur - Sophie Rostopchine avant tout, la fille de l'incendiaire de Moscou.

Technique mixte sur toile coton 61 x 50 centimètres

Maman est un oiseau de Paradis

La comtesse de Ségur avait une mère d'une grande singularité. Cette dernière vivait apparemment de manière pieuse, austère. Elle faisait souvent preuve d'une sévérité sans appel, mais elle tenait néanmoins à s'entourer d'une foule d'oiseaux exotiques. Son influence sur sa fille s'est exercée longtemps, et ce, en dépit de la distance. Sophie, la véritable Sophie, était une enfant dynamique et malicieuse. Les flamboiements et les chants des volatiles ont dû l'égayer. Quoi qu'il en soit, les romans qu'elle a écrits regorgent d'oiseaux. Ici, les humains possèdent un bec, certaines espèces portent un médaillon en or. Les petites filles qui n'ont pas de bras pour danser ont quand même des ailes qui leur serviront à s'envoler, un jour. La femme au centre rêve de la Russie qu'elle a quittée. Les oiseaux au casting sont les suivants : le martin-pêcheur nain, l'alcyon galatée, l'alcyon de Java, le paradisier royal, le colibri sapho, le maléo, le barbu multicolore, l'oiseau bleu des fées, le cygne.

Technique mixte sur toile coton 61 x 50 centimètres

Promenons-nous dans les bois

Alors que j'essayais de me figurer l'enfance de Sophie Rostopchine me sont venues des images de bouleaux et de loups, deux emblèmes forts en Russie. Je suis partie d'une représentation de loup médiéval comme un concentré de toutes les peurs qu'on brandit à la face des enfants, ou comme une évocation des menaces qui leurs sont faites. Pour l'artiste, les frontières entre la réalité et l'imaginaire sont perméables. Ainsi, la carapace de la tortue pourtant vivante est ornée de couleurs identiques à celles d'un ballon un peu plus loin. Les canards dans la mare sont des jouets de bain. Les enfants considérés comme d'innocents agneaux ont l'idée de brandir devant l'animal sauvage qui les renifle un masque de bélier. Quant à la terrible madame Fichini, toujours prête à se saisir d'un fouet, elle se voit empêchée d'atteindre sa cible lorsqu'un rosier la surprend, l'enlaçant de ses ronces. Lâchés dans la forêt, Sophie, Paul, Camille et Madeleine puisent dans des ressources qui semblent leur être inaccessibles dans le contexte d'un manoir. La petite Marguerite apparaît sous la forme d'une fleur si elle veut. Les cages vides suspendues à un ciel improbable laissent entendre que les enfants trouvent toujours un moyen de s'en sortir.

Technique mixte sur toile coton 30 x 40 centimètres

Une cabane en Normandie

C'est l'idée d'une carte postale. D'un refuge, d'un séjour à la fois universel et local. Le sujet de cette toile est tiré du troisième tome de la trilogie de Fleurville, "Les vacances", période d'ailleurs propice à la construction. Le titre fait quant à lui allusion au personnage Le Normand, lequel joue presque le rôle de l'ange annonciateur dans le livre. La cabane fait intégralement partie de l'imaginaire de l'enfance, mais je suis convaincue que les adultes continuent à en élucubrer d'un autre genre, dans un recoin de leur mental, quand ils traversent des vicissitudes. Dans cette toile, une vache porte sur son dos la cahute de guingois qui accueille une petite fille - ou une poupée - en train de rêver d'un poisson. La cabane est donc mobile, apte au voyage. Un pommier tête en bas révèle une production de fruits qui pourraient faire partie d'une dînette. Les huit papillons racontent l'une des nombreuses aventures vécues par les enfants laissés libres à eux-mêmes.

Technique mixte sur toile coton 40x 50 centimètres

Impénitente

Focus sur l'épisode du collier de morceaux d'abeilles. La petite fille au cœur de la toile, comme si elle était prisonnière d'un portrait endommagé, scrute le monde qui l'entoure. À moins qu'elle ne se regarde, parée de son étrange collier d'insectes, dans un miroir brisé. L'espace restant est semblable à une ardoise d'école, recouverte d'allusions aux plaisirs et malices des enfants. Cela ouvre à un certains nombre d'interrogations. Est-ce qu'on doit systématiquement regretter nos erreurs ? Doit-on forcément se repentir dès lors que d'autres le décident à notre place ? Que va devenir cette enfant, une fois débarrassée de son hideuse parure ?

Technique mixte sur toile coton 61 x 50 centimètres

Jeux de main

J'ai souhaité retourner avec cette toile à l'intérieur - ou tout au moins dans les limites du domaine. La question s'est posée de suivre les modes de l'époque où l'action se situe. Lorsque j'étais petite, j'aimais que mes jouets ressemblent aux objets qui m'entouraient dans la réalité. Cependant, j'en suis rapidement arrivée à la conclusion que ce qui comptait le plus, c'était d'imiter, de reproduire les gestes, c'est pourquoi je m'en suis tenue à des représentations simples de chaise, de vase, de bassin, de fauteuil, etc. À nouveau, la lisière s'amenuise, entre la part du jeu et les espaces partagés entre enfants et adultes. Sophie trempée par la pluie apparaît à l'échelle la maison de poupées. La crinoline est montrée sous l'apparence d'une simple structure, de manière allusive, sur un mannequin qui devient une sorte de cage. La main au centre est celle de ma fille qui me prête souvent son empreinte. Le motif de la girafe est resté car il fascinait également la petite fille que j'étais. L'un des poissons que Sophie s'est appliquée à découper en morceaux est si ornementé qu'il évoque plus l'amusement que la mort. Le chat et la souris ne font plus qu'un. Parmi tous les autres détails, on retrouve le coq, le bouvreuil, ainsi que Mimi le rouge-gorge.

Mon projet de départ, quand bien même j'ai rapidement résolu d'écrire en direct à la comtesse de Ségur, était néanmoins beaucoup plus agressif - je crois que le mot n'est pas trop fort. Le titre initial était Violente Violette. En effet, longtemps j'ai estimé que les romans de l'autrice (en particulier ceux qui mettent en avant l'obéissance, le don total, l'oubli de soi), avaient été dans le même sens de mon éducation. Je portais au crédit de la comtesse de Ségur une sensibilité qui s'était accrue chez moi de manière quasi maladive, et je considérais que ses préceptes avaient suffisamment stigmatisé mon esprit d'enfant pour conditionner la suite de mon existence en altérant mon jugement, mes mécanismes de défense. En ouvrant mon cahier de notes, je ne savais pas trop dans quel état j'allais retrouver la petite Delfine, celle qui se rendait malade à vouloir aider tous ses semblables.

Bref, les sujets que j'aborde dans cinq lettres datées de 1981 à 2024 sont pour la plupart d'une cinglante actualité. Ils balayent le champ des souvenirs, comme les objets et jouets que s'attachent les enfants, leurs interrogations métaphysiques et les maladies qui les laissent seuls avec leur corps. Les questionnements vont jusqu'au débat récent pour savoir si oui ou non il faut légiférer sur le statut des familles mono-parentales, en passant par ce que signifie gagner sa vie quand on est une femme de lettres, la maternité, l'expérience de l'exil, la détermination. Ces lettres constituent un dialogue qui est loin de s'achever pour ma part, et j'espère qu'elles trouveront un écho et donneront lieu à d'autres échanges. Et peu importe si les interlocutrices que nous choisissons sont désormais passées dans l'autre monde puisqu'elles nous ont laissé le matériau vibrant de leurs écrits.