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Philosophie Terminale Générale

Avril

Created on June 13, 2024

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Transcript

Philosophie terminale générale

L'existence humaine et la culture

La nature organise l'existence de manière cohérente

"Il est évident que l’homme est un animal politique."

La voix exprime les émotions et les besoins

Aristote

Distinction entre la voix et la parole

La cité se fonde sur des valeurs raisonnables

La parole exprime les valeurs élaborées par la faculté de raison

"Il est évident que l’homme est un animal politique."

Aristote

"Cette action passée a été faite par le même soi que celui qui se la remet à présent dans l’esprit."

La personne est consciente d'elle-même

Locke

Toute connaissance se fonde sur l'expérience

La conscience s'éprouve mais ne se démontre pas

L'identité personnelle se construit sur la capacité à sentir qu'on reste la même personne entre les expériences passées et celles du présent

ExpérienceMémoire Sentiment de continuité du soi

"Cette action passée a été faite par le même soi que celui qui se la remet à présent dans l’esprit."

Locke

Il y a 3 raisons qui expliquent l'interdépendance des 2 sens du mot "culture":- l'Homme est mu par le principe de plaisir - tout Homme peut devenir lui-même une forme de bien - chacun est un danger pour la culture de par ses pulsions

"Chaque individu est virtuellement un ennemi de la culture, laquelle est pourtant censée être d'intérêt humain universel."

la culture est d'abord une façon de répondre aux besoins grâce à la connaissance et à la technique

la culture est également l'ensemble des dispositifs nécessaires pour protéger les acquis de son sens initial

"Chaque individu est virtuellement un ennemi de la culture, laquelle est pourtant censée être d'intérêt humain universel."

Raison et vérité

"Cette proposition : je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit."

"Si l'individu n'avait pas tenu à sa « vérité » à lui, c'est-à-dire à avoir toujours raison, il n'existerait aucune méthode de recherche que ce soit."

Conscience et inconscient

"La conscience de soi est être-pour-soi simple égal à soi-même en excluant de soi tout ce qui est autre."

"Il y a mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion."

"L’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime et que l’existence de l’inconscient est prouvée de maintes façons."

Le temps

"Quant au présent, s'il était toujours présent sans passer au passé, il ne serait plus le temps mais l'éternité."

"Par le seul fait de s’accomplir, la réalité projette derrière elle son ombre dans le passé indéfiniment lointain."

"La signification du passé est étroitement dépendante de mon projet présent."

Le Bonheur

"Nous n'avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur."

"Si tu désires quelqu'une des choses qui ne sont pas en notre pouvoir, tu seras nécessairement malheureux."

"Entre l'appétit et le désir il n'existe aucune différence, sauf que le désir s'applique, la plupart du temps, aux hommes lorsqu'ils ont conscience de leur appétit."

L'Art

Quel but se propose la peinture relativement à chaque objet ? Est-ce de représenter ce qui est tel qu'il est, ou ce qui paraît tel qu'il paraît (...) ?

"Le but de l'art consiste à rendre accessible à l'intuition (...) ce qui remue la poitrine humaine et agite l'esprit humain."

"L'œuvre d'art est supérieure à tout produit de la nature qui n'a pas effectué ce passage par l'esprit."

La Morale et la Politique

"L'art politique véritable ne doit pas se soucier du bien particulier, mais du bien général."

"Chacun voit aisément ce qu'on paraît être, mais presque personne n'identifie ce qu'on est ; et ce petit nombre d'esprits pénétrants n'ose pas contredire la multitude."

"Ce n'est pas la violence qui restaure, mais la violence qui ruine qu'il faut condamner."

"Je dois toujours me conduire de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi universelle."

"L'histoire des sentiments moraux est l'histoire d'une erreur, l'erreur de la responsabilité : laquelle repose sur l'erreur touchant la liberté de la volonté."

La Liberté

"La plupart des hommes semblent croire qu'ils sont libres dans la mesure où il leur est permis d'obéir à leurs penchants."

"Dans un État organisé conformément aux exigences de la raison, toutes les lois et institutions ne sont que des réalisations de la volonté."

État, Devoir et Justice

"Être captif de son plaisir (...), c'est le pire des esclavages, et la liberté n'est que celle qu'a celui qui (...) vit sous la seule conduite de la Raison."

"D'une certaine manière, nous appelons actions justes toutes celles qui tendent à produire ou à conserver le bonheur avec les éléments qui le composent, pour la communauté politique."

Aristote

"L'impératif catégorique serait celui qui représenterait une action comme nécessaire pour elle-même, et sans rapport à un autre but, comme nécessaire objectivement."

"L'obéissance est ce qui a été le mieux et le plus longtemps exercé et cultivé parmi les hommes."

Le Travail

"Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre."

"Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre."

"Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre."

La Connaissance

"Un syllogisme peut assurément exister sans ces conditions, mais il ne sera pas une démonstration, car il ne sera pas productif de science."

Aristote

"Considérant qu'entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n'y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations."

"C'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours."

Science et Vérité

"Ceux qui cherchent le droit chemin de la vérité ne doivent s'occuper d'aucun objet dont ils ne puissent avoir une certitude égale à celle des démonstrations de l'arithmétique et de la géométrie."

"Ceux qui cherchent le droit chemin de la vérité ne doivent s'occuper d'aucun objet dont ils ne puissent avoir une certitude égale à celle des démonstrations de l'arithmétique et de la géométrie."

Le Langage

"Notre corps n'est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu'il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion."

"Les mots ne sont pas seulement les signes des pensées, mais aussi des choses, et nous avons besoin des signes non seulement pour exprimer ce que nous pensons à d’autres, mais aussi pour venir nous-mêmes en aide à nos propres réflexions."

"L’une des imperfections radicales du discours parlé ou écrit, C’est qu’il constitue une série essentiellement linéaire."

Nature et Technique

"Sitôt que j'eus acquis quelques notions générales touchant la physique, (...) j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes."

"Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles."

"J'ai donné à ce principe, en vertu duquel toute variation avantageuse tend à être conservée, le nom de sélection naturelle, pour indiquer ses rapports avec la sélection appliquée par l'homme."

"Nulle éthique traditionnelle ne nous instruit donc sur les normes du « bien » et du « mal » auxquelles doivent être soumises les modalités entièrement nouvelles du pouvoir et de ses créations possibles."

La Religion

"L'existence de Dieu doit passer en mon esprit au moins pour aussi certaine, que j'ai estimé jusques ici toutes les vérités des mathématiques, qui ne regardent que les nombres et les figures."

"La religion est le soupir de la créature tourmentée, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit de situations dépourvues d'esprit. Elle est l'opium du peuple."

"L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice."

Fin

« Tous les impératifs sont exprimés par le verbe devoir, et ils indiquent par là le rapport d'une loi objective de la raison à une volonté qui, selon sa constitution subjective, n'est pas nécessairement déterminée par cette loi (une contrainte). Ils disent qu'il serait bon de faire telle chose ou de s'en abstenir ; mais ils le disent à une volonté qui ne fait pas toujours une chose parce qu'il lui est représenté qu'elle est bonne à faire. Or cela est pratiquement bon, qui détermine la volonté au moyen de représentations de la raison, par conséquent non pas en vertu de causes subjectives, mais objectivement, c'est-à-dire en vertu de principes qui sont valables pour tout être raisonnable en tant que tel. Ce bien pratique est distinct de l'agréable, c'est-à-dire de ce qui a de l'influence sur la volonté uniquement au moyen de la sensation en vertu de causes purement subjectives, valables seulement pour la sensibilité de tel ou tel, et non comme principe de la raison, valable pour tout le monde. [...] Or tous les impératifs commandent ou hypothétiquement ou catégoriquement. [...] L'impératif catégorique serait celui qui représenterait une action comme nécessaire pour elle-même, et sans rapport à un autre but, comme nécessaire objectivement.
 [...] Or si l'action n'est bonne que comme moyen pour quelque autre chose, l'impératif est hypothétique ; si est représentée comme bonne en soi, par suite comme étant nécessairement dans une volonté qui est en soi conforme à la raison, alors, l'impératif est catégorique. »Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs (1785)

« La recherche méthodique de la vérité est du reste elle-même le résultat de ces époques où les convictions se faisaient la guerre. Si l'individu n'avait pas tenu à sa « vérité » à lui, c'est-à-dire à avoir toujours raison, il n'existerait aucune méthode de recherche que ce soit ; mais de la sorte, dans ce combat perpétuel des prétentions de divers individus à la vérité absolue, on avança pas à pas à la découverte de principes irréfutables d'après lesquels pût s'examiner le bien-fondé de ces prétentions et s'apaiser leur conflit. On commença par trancher en suivant les autorités, plus tard on passa à une critique réciproque des voies et moyens par lesquels on avait trouvé la prétendue vérité ; il y eut entre-temps une période où l'on tira les conséquences du principe adverse, les trouvant peut-être pernicieuses et propres à rendre malheureux : de quoi il devait alors résulter au jugement de chacun que la conviction de l'adversaire contenait une erreur. La lutte personnelle des penseurs a finalement si bien aiguisé les méthodes qu'il devint possible de découvrir réellement des vérités et de mettre en évidence aux yeux de tous les erreurs des méthodes antérieures. »Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain (1878)

« On voit clairement pourquoi l'arithmétique et la géométrie sont beaucoup plus certaines que les autres sciences : c'est que seules elles traitent d'un objet assez pur et simple pour n'admettre absolument rien que l'expé-rience ait rendu incertain, et qu'elles consistent tout entières en une suite de conséquences déduites par raisonnement. Elles sont donc les plus faciles et les plus claires de toutes, et leur objet est tel que nous le désirons, puisque, sauf par inattention, il semble impossible à l'homme d'y commettre des erreurs. Et cependant il ne faut pas s'étonner si spontanément beaucoup d'esprits s'appli-quent plutôt à d’autres études ou à la philosophie : cela vient en effet, de ce que chacun se donne plus hardiment la liberté d'affirmer des choses par divi-nation dans une question obscure que dans une question évidente, et qu'il est bien plus facile de faire des conjectures sur une question quelconque que de parvenir à la vérité sur une question, si facile qu'elle soit. De tout cela on doit conclure, non pas, en vérité, qu'il ne faut ap-prendre que l'arithmétique et la géométrie, mais seulement que ceux qui cher-chent le droit chemin de la vérité ne doivent s'occuper d'aucun objet dont ils ne puissent avoir une certitude égale à celle des démonstrations de l'arithmétique et de la géométrie. » Descartes, Règles pour la direction de l'esprit (1629)

« [...] [le fondement et la fin de la Démocratie n'est autre] que de soustraire les hommes à la domination absurde de l'Appétit et à les maintenir, autant qu'il est possible, dans les limites de la Raison, pour qu'ils vivent dans la concorde et dans la paix ; ôté ce fondement, tout l'édifice s'écroule. Au seul souverain donc il appartient d'y pourvoir ; aux sujets, [...], d'exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit. Peut-être pensera-t-on, que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l'esclave est celui qui agit par commandement et l'homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n'est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c'est le pire des esclavages, et la liberté n'est que celle qu'a celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison. Quant à l'action par commandement, c'est-à-dire l'obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c'est la raison déterminante de l'action qui le fait. Si la fin de l'action n'est pas l'utilité de l'agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l'agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans un État et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave, inutile en tout à lui-même, mais un sujet. Ainsi, cet État est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans cet État, chacun, dès qu'il le veut, peut être libre, c'est-à-dire vivre son entier consentement sous la conduite de la Raison. De même encore les enfants, bien que tenus d'obéir aux commandements de leurs parents, ne sont cependant pas des esclaves ; car les commandements des parents ont très grandement égard à l'utilité des enfants. Nous reconnaissons donc une grande différence entre un esclave, un fils et un sujet, qui se définissent ainsi : est esclave qui est tenu d'obéir à des commandements n'ayant égard qu'à l'utilité du maître commandant ; fils, qui fait ce qui lui est utile par le commandement de ses parents ; sujet enfin, qui fait par le commandement du souverain ce qui est utile au bien commun et par conséquent aussi à lui-même. » Spinoza, Traité théologico-politique (1670)

« Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l'économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l'homme de devenir une malédiction pour lui. La thèse liminaire de ce livre est que la promesse de la technique moderne s'est inversée en menace, ou bien que celle-ci s'est indissolublement liée à celle-là. Elle va au-delà du constat d'une menace physique. La soumission de la nature destinée au bonheur humain a entraîné par la démesure de son succès, qui s'étend maintenant également à la nature de l'homme lui-même, le plus grand défi pour l'être humain que son faire ait jamais entraîné. Tout en lui est inédit, sans comparaison possible avec ce qui précède, tant du point de vue de la modalité que du point de vue de l'ordre de grandeur : ce que l'homme peut faire aujourd'hui et ce que par la suite il sera contraint de continuer à faire, dans l'exercice irrésistible de ce pouvoir, n'a pas son équivalent dans l'expérience passée. Toute sagesse héritée, relative au comportement juste, était taillée en vue de cette expérience. Nulle éthique traditionnelle ne nous instruit donc sur les normes du « bien » et du « mal » auxquelles doivent être soumises les modalités entièrement nouvelles du pouvoir et de ses créations possibles. La terre nouvelle de la pratique collective, dans laquelle nous sommes entrés avec la technologie de pointe, est encore une terre vierge de la théorie éthique. Dans ce vide (qui est en même temps le vide de l'actuel relativisme des valeurs) s'établit la recherche présentée ici. Qu'est-ce qui peut servir de boussole ? L'anticipation de la menace elle-même ! C'est seulement dans les premières lueurs de son orage qui nous vient du futur, dans l'aurore de son ampleur planétaire et dans la profondeur de ses enjeux humains, que peuvent être découverts les principes éthiques, desquels se laissent déduire les nouvelles obligations correspondant au pouvoir nouveau. [...] Un impératif adapté au nouveau type de l'agir humain et qui s'adresse au nouveau type de sujets de l'agir s'énoncerait à peu près ainsi : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la Permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou pour l'exprimer négativement : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d'une telle vie » ; ou simplement : « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l'humanité sur terre » ; ou encore, formulé de nouveau positivement : « Inclus dans ton choix actuel l'intégrité future de l'homme comme objet secondaire de ton vouloir ». » H. Jonas, Le principe de responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique (1979)

« Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l'ataraxie de l'âme , puisque c'est là la perfection même de la vie heureuse. Car nous faisons tout afin d'éviter la douleur physique et le trouble de l'âme. Lorsqu'une fois nous y avons réussi, toute l'agitation de l'âme tombe, l'être vivant n'ayant plus à s'acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l'âme et celui du corps. Nous n'avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; et quand nous n'éprouvons pas de douleur nous n'avons plus besoin du plaisir. [...] C'est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu'il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l'abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l'opulence qui ont le moins besoin d'elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, et ce qui ne répond pas à un désir naturel, malaisé à se procurer. [...] Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs de l'homme déréglé, ni de ceux qui consistent dans les jouissances matérielles, ainsi que l'écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps à ne pas souffrir et, pour l'âme, à être sans trouble. »

« S'il est vrai que de tous les temps, depuis qu'il y a des hommes, il y a eu aussi des troupeaux humains (confréries sexuelles, communautés, tribus, nations, Églises, États) et toujours un grand nombre d'hommes obéissant à un petit nombre de chefs ; si, par conséquent, l'obéissance est ce qui a été le mieux et le plus longtemps exercé et cultivé parmi les hommes, on est en droit de présumer que dans la règle chacun de nous possède en lui le besoin inné d'obéir, comme une sorte de conscience formelle qui ordonne : « Tu feras ceci, sans discuter ; tu t'abstiendras de cela, sans discuter » ; bref, c'est un « tu feras ». »Nietzsche, Par-delà bien et mal (1886)

« En quoi consiste l’aliénation du travail ? D’abord dans le fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, celui-ci ne s’affirme pas mais se nie, ne se sent pas à l’aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. »Marx, Manuscrits (1844)

« La plupart des hommes semblent croire qu'ils sont libres dans la mesure où il leur est permis d'obéir à leurs penchants, et qu'ils abandonnent de leur indépendance dans la mesure où ils sont tenus de vivre selon la prescription de la loi divine. La moralité donc, et la religion, et, sans restriction, tout ce qui se rapporte à la force d'âme, ils les prennent pour des fardeaux qu'ils espèrent déposer après la mort, pour recevoir le prix de la servitude, à savoir de la moralité et de la religion ; et ce n'est pas cet espoir seul, mais aussi et surtout la crainte d'être punis par d'horribles supplices après la mort, qui les poussent à vivre selon la prescription de la loi divine, autant que le permettent leur petitesse et leur âme impuissante. Et si les hommes n'avaient pas cet espoir et cette crainte, s'ils croyaient au contraire que les esprits périssent avec le corps et qu'il ne reste aux malheureux épuisés par le fardeau de la moralité aucune survie, ils reviendraient à leurs naturels, voudraient tout gouverner selon leurs penchants et obéir à la fortune plutôt qu'à eux-mêmes. Ce qui ne me paraît pas moins absurde que si un homme, parce qu'il ne croit pas pouvoir nourrir éternellement son corps de bons aliments, préférait se saturer de poisons mortels ; ou bien, parce qu'il voit que l'esprit n'est pas éternel ou immortel, préfère être dément et vivre sans la Raison : absurdité telle qu'elle mérite à peine d'être relevée. »Spinoza, L'Éthique (1677)

« Cela posé, pour trouver en quoi consiste l'identité personnelle, il faut voir ce qu'emporte le mot de personne. C'est, à ce que je crois, un Être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, et qui se peut consulter soi-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents temps et en différents lieux ; ce qu'il fait uniquement par le sentiment qu'il a de ses propres actions, lequel est inséparable de la pensée, et lui est, ce me semble, entièrement essentiel, étant impossible à quelque Être que ce soit d'apercevoir sans apercevoir qu'il aperçoit. Lorsque nous voyons, que nous entendons, que nous flairons, que nous goûtons, que nous sentons, que nous méditons, ou que nous voulons quelque chose, nous le connaissons à mesure que nous le faisons. Cette connaissance accompagne toujours nos sensations et nos perceptions présentes : et c'est par là que chacun est à lui-même ce qu'il appelle soi-même. [...] Car puisque la conscience accompagne toujours la pensée, et que c'est là ce qui fait que chacun est ce qu'il nomme soi-même, et par où il se distingue de toute autre chose pensante : c'est aussi en cela seul que consiste l'identité personnelle, ou ce qui fait qu'un Être raisonnable est toujours le même. Et aussi loin que cette conscience peut s'étendre sur les actions ou les pensées déjà passées, aussi loin s'étend l'identité de cette personne : le soi est présentement le même qu'il était alors : et cette action passée a été faite par le même soi que celui qui se la remet à présent dans l’esprit. »John Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain (1689)

« Or, semble-t-il bien, la justice est prise en plusieurs sens, et l'injustice aussi, [...] – Comprenons donc en combien de sens se dit l'homme injuste. On considère généralement comme étant injuste à la fois celui qui viole la loi, celui qui prend plus que son dû, et enfin celui qui manque à l'égalité, de sorte que de toute évidence l'homme juste sera à la fois celui qui observe la loi et celui qui respecte l'égalité. Le Juste, donc, est ce qui est conforme à la loi et ce qui respecte l'égalité, et l'injuste ce qui est contraire à la loi et ce qui manque à l'égalité. Puisque, disions-nous, celui qui viole la loi est un homme injuste, et celui qui l'observe un homme juste, il est évident que toutes les actions prescrites par la loi sont, en un sens, justes : en effet, les actions définies par la loi positive sont légales, et chacune d'elles est juste, disons-nous. Or les lois prononcent sur toutes sortes de choses, et elles ont en vue l'utilité commune, soit de tous les citoyens, [soit des meilleurs], soit seulement des chefs désignés en raison de leur valeur ou de quelque autre critère analogue ; par conséquent, d'une certaine manière, nous appelons actions justes toutes celles qui tendent à produire ou à conserver le bonheur avec les éléments qui le composent, pour la communauté politique. – Mais la loi nous commande aussi d'accomplir les actes de l'homme courageux (par exemple, ne pas abandonner son poste, ne pas prendre la fuite, ne pas jeter ses armes), ceux de l'homme tempérant (par exemple, ne pas commettre l'adultère, ne pas être insolent), et ceux de l'homme de caractère agréable (comme ne pas porter des coups et ne pas médire des autres), et ainsi de suite pour les autres formes de vertus ou de vices, prescrivant les unes et interdisant les autres, tout cela correctement si la loi a été elle-même correctement établie, ou d'une façon critiquable, si elle a été faite à la hâte. Cette forme de justice, alors, est une vertu complète, non pas cependant au sens absolu, mais dans nos rapports avec autrui. Et c'est pourquoi souvent on considère la justice comme la plus parfaite des vertus, et ni l'étoile du soir, ni l'étoile du matin ne sont ainsi admirables. Nous avons encore l'expression proverbiale : Dans la justice est en somme toute vertu. Et elle est une vertu complète au plus haut point, parce qu'elle est usage de la vertu complète, et elle est complète parce que l'homme en possession de cette vertu est capable d'en user aussi à l'égard des autres et non seulement pour lui-même. » Aristote, L'Éthique à Nicomaque (349 av. J.-C.)

« - Maintenant considère ceci. Quel but se propose la peinture relativement à chaque objet ? Est-ce de représenter ce qui est tel qu'il est, ou ce qui paraît tel qu'il paraît ; est-ce l'imitation de l'apparence ou de la réalité ? - De l'apparence, dit-il. - L'art d'imiter est donc bien éloigné du vrai, et, s'il peut tout exécuter, c'est, semble-t-il, qu'il ne touche qu'une petite partie de chaque chose, et cette partie n'est qu'un fantôme. Nous pouvons dire par exemple que le peintre nous peindra un cordonnier, un charpentier ou tout autre artisan sans connaître le métier d'aucun d'eux ; il n'en fera pas moins, s'il est bon peintre, illusion aux enfants et aux ignorants, en peignant un charpentier et en le montrant de loin, parce qu'il lui aura donné l'apparence d'un charpentier véritable. - Assurément. - Mais voici, mon ami, ce qu'il faut, selon moi, penser de tout cela : quand quelqu'un vient nous dire qu'il a rencontré un homme au courant de tous les métiers et qui connaît mieux tous les détails de chaque art que n'importe quel spécialiste, il faut lui répondre qu'il est naïf et qu'il est tombé sans doute sur un charlatan ou un imitateur qui lui a jeté de la poudre aux yeux, et que, s'il l'a pris pour un savant universel, c'est qu'il n'est pas capable de distinguer la science, l'ignorance et l'imitation. - Rien de plus vrai, dit-il. » Platon, La République (385-370 av. J.-C.)

« Souviens-toi que la fin de tes désirs, c'est d'obtenir ce que tu désires, et que la fin de tes craintes, c'est d'éviter ce que tu crains. Celui qui n'obtient pas ce qu'il désire est malheureux, et celui qui tombe dans ce qu'il craint est misérable. Si tu n'as donc de l'aversion que pour ce qui est contraire à ton véritable bien, et qui dépend de toi, tu ne tomberas jamais dans ce que tu crains. Mais si tu crains la mort, la maladie ou la pauvreté, tu seras misérable. Transporte donc tes craintes, et reporte-les, des choses qui ne dépendent point de nous, sur celles qui en dépendent ; et, pour tes désirs, supprime-les entièrement pour le moment. Car, si tu désires quelqu'une des choses qui ne sont pas en notre pouvoir, tu seras nécessairement malheureux ; et, pour les choses qui sont en notre pouvoir, tu n'es pas encore en état de connaître celles qu'il est bon de désirer. En attendant donc que tu le sois, contente- toi de rechercher ou de fuir les choses, mais doucement, toujours avec des réserves, et sans te hâter. » Épictète, Le Manuel (2ème siècle av. J.-C.)

« Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un État est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées ; ainsi, au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer. Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute. Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre. Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres. Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m'avaient donné occasion de m'imaginer que toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s'entresuivent en même façon et que, pourvu seulement qu'on s'abstienne d'en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu'on garde toujours l'ordre qu'il faut pour les déduire les unes des autres, il n'y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu'on ne découvre. Et je ne fus pas beaucoup en peine de chercher par lesquelles il était besoin de commencer : car je savais déjà que c'était par les plus simples et les plus aisées à connaître ; et considérant qu'entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n'y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c'est-à-dire quelques raisons certaines et évidentes, je ne doutais point que ce ne fût par les mêmes qu'ils ont examinées ; bien que je n'en espérasse aucune autre utilité, sinon qu'elles accoutumeraient mon esprit à se repaître de vérités, et ne se contenter point de fausses raisons. » Descartes, Le Discours de la méthode (1637)

« Les idées religieuses, qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées non réalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une existence future fournit les cadres du temps et le lieu où les désirs se réaliseront. Des réponses aux questions que se pose la curiosité humaine touchant ces énigmes : la genèse de l'univers, le rapport entre le corporel et le spirituel, s'élaborent suivant les prémisses du système religieux. Et c'est un énorme allègement pour l'âme individuelle de voir les conflits de l'enfance - conflits qui ne sont jamais entièrement résolus – lui être pour ainsi dire enlevés et recevoir une solution acceptée de tous. [...] Nous le répéterons : les doctrines religieuses sont toutes des illusions, on ne peut les prouver, et personne ne peut être contraint à les tenir pour vraies, à y croire. Quelques-unes d'entre elles sont si invraisemblables, tellement en contradiction avec ce que nous avons appris, avec tant de peine, sur la réalité de l'univers, que l'on peut les comparer – en tenant compte comme il convient des différences psychologiques - aux idées délirantes. De la valeur réelle de la plupart d'entre elles il est impossible de juger. On ne peut pas plus les réfuter que les prouver. » S. Freud, L'avenir d'une illusion (1927)

« La question de savoir s'il existe encore un autre mode de connaissance sera examinée plus tard. Mais ce que nous appelons ici savoir c'est connaître par le moyen de la démonstration. Par démonstration j'entends le syllogisme scientifique, et j'appelle scientifique un syllogisme dont la possession même constitue pour nous la science. – Si donc la connaissance scientifique consiste bien en ce que nous avons posé, il est nécessaire aussi que la science démonstrative parte de prémisses qui soient vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elles, et dont elles sont les causes. C'est à ces conditions, en effet, que les principes de ce qui est démontré seront aussi appropriés à la conclusion. Un syllogisme peut assurément exister sans ces conditions, mais il ne sera pas une démonstration, car il ne sera pas productif de science. Les prémisses doivent être vraies, car on ne peut pas connaître ce qui n'est pas, par exemple la commensurabilité de la diagonale. Elles doivent être premières et indémontrables, car autrement on ne pourrait les connaître faute d'en avoir la démonstration, puisque la science des choses qui sont démontrables, s'il ne s'agit pas d'une science accidentelle, n'est pas autre chose que d'en posséder la démonstration. Elles doivent être causes de la conclusion, être plus connues qu'elle, et antérieures à elle : causes, puisque nous n'avons la science d'une chose qu'au moment où nous avons connu la cause ; antérieures, puisqu'elles sont causes ; antérieures aussi au point de vue de la connaissance, cette pré-connaissance ne consistant pas seulement à comprendre de la seconde façon que nous avons indiquée, mais encore à savoir que la chose est. »Aristote, Seconds analytiques (400 av. J.-C.)

« Il est évident que l’homme est un animal politique, bien plus que n’importe quelle abeille ou n’importe quel animal grégaire. Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux, l’homme est doué de parole. Certes la voix sert à signifier la douleur et le plaisir et c’est pourquoi on la rencontre chez les autres animaux (car leur nature s’est hissée jusqu’à la faculté de percevoir douleur et plaisir et de se signifier mutuellement). Mais la parole existe en vue de manifester l’utile et le nuisible, puis aussi, par voie de conséquence, le juste et l’injuste. C’est ce qui fait qu’il n’y a qu’une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux : la perception du bien et du mal, du juste et de l’injuste et autres notions de ce genre, et avoir de telles notions en commun, voilà ce qui fait une famille et une cité. »Aristote, Politique (330 av. J.-C.)

« L'œuvre d'art vient de l'esprit et existe pour l'esprit, et sa supériorité consiste en ce que si le produit naturel est un produit doué de vie, il est périssable, tandis qu'une œuvre d'art est une œuvre qui dure. La durée présente un intérêt plus grand. Les événements arrivent, mais, aussitôt arrivés, ils s'évanouissent ; l'œuvre d'art leur confère de la durée, les représente dans leur vérité impérissable. L'intérêt humain, la valeur spirituelle d'un événement, d'un caractère individuel, d'une action, dans leur évolution et leurs aboutissements, sont saisis par l'œuvre d'art qui les fait ressortir d'une façon plus pure et transparente que dans la réalité ordinaire, non artistique. C'est pourquoi l'œuvre d'art est supérieure à tout produit de la nature qui n'a pas effectué ce passage par l'esprit. C'est ainsi que le sentiment et l'idée qui, en peinture, ont inspiré un paysage confèrent à cette œuvre de l'esprit un rang plus élevé que celui du paysage tel qu'il existe dans la nature. » Hegel, L'Esthétique (1832)

« Cela posé, pour trouver en quoi consiste l'identité personnelle, il faut voir ce qu'emporte le mot de personne. C'est, à ce que je crois, un Être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, et qui se peut consulter soi-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents temps et en différents lieux ; ce qu'il fait uniquement par le sentiment qu'il a de ses propres actions, lequel est inséparable de la pensée, et lui est, ce me semble, entièrement essentiel, étant impossible à quelque Être que ce soit d'apercevoir sans apercevoir qu'il aperçoit. Lorsque nous voyons, que nous entendons, que nous flairons, que nous goûtons, que nous sentons, que nous méditons, ou que nous voulons quelque chose, nous le connaissons à mesure que nous le faisons. Cette connaissance accompagne toujours nos sensations et nos perceptions présentes : et c'est par là que chacun est à lui-même ce qu'il appelle soi-même. [...] Car puisque la conscience accompagne toujours la pensée, et que c'est là ce qui fait que chacun est ce qu'il nomme soi-même, et par où il se distingue de toute autre chose pensante : c'est aussi en cela seul que consiste l'identité personnelle, ou ce qui fait qu'un Être raisonnable est toujours le même. Et aussi loin que cette conscience peut s'étendre sur les actions ou les pensées déjà passées, aussi loin s'étend l'identité de cette personne : le soi est présentement le même qu'il était alors : et cette action passée a été faite par le même soi que celui qui se la remet à présent dans l’esprit. »John Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain (1689)

« Toute chose s'efforce - autant qu'il est en son pouvoir - de persévérer dans son être. [...] L'effort par lequel toute chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien d'autre que l'essence actuelle de cette chose. [...] Cet effort, en tant qu'il a rapport à l'âme seule, s'appelle : Volonté. Mais lorsqu'il a rapport en même temps à l'Âme et au Corps, il se nomme Appétit. L'appétit, par conséquent, n'est pas autre chose que l'essence même de l'homme, de la nature de laquelle les choses qui servent à sa propre conservation résultent nécessairement ; et par conséquent, ces mêmes choses, l'homme est déterminé à les accomplir. En outre, entre l'appétit et le désir il n'existe aucune différence, sauf que le désir s'applique, la plupart du temps, aux hommes lorsqu'ils ont conscience de leur appétit et, par suite, le désir peut être ainsi défini : "Le désir est un appétit dont on a conscience". Il est donc constant, en vertu des théorèmes qui précèdent, que nous ne nous efforçons pas de faire une chose, que nous ne voulons pas une chose, que nous n'avons non plus l'appétit ni le désir de quelque chose parce que nous jugeons que cette chose est bonne ; mais qu'au contraire nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, que nous la voulons, que nous en avons l'appétit et le désir. »Spinoza, L'Éthique (1675)

« On voit clairement pourquoi l'arithmétique et la géométrie sont beaucoup plus certaines que les autres sciences : c'est que seules elles traitent d'un objet assez pur et simple pour n'admettre absolument rien que l'expé-rience ait rendu incertain, et qu'elles consistent tout entières en une suite de conséquences déduites par raisonnement. Elles sont donc les plus faciles et les plus claires de toutes, et leur objet est tel que nous le désirons, puisque, sauf par inattention, il semble impossible à l'homme d'y commettre des erreurs. Et cependant il ne faut pas s'étonner si spontanément beaucoup d'esprits s'appli-quent plutôt à d’autres études ou à la philosophie : cela vient en effet, de ce que chacun se donne plus hardiment la liberté d'affirmer des choses par divi-nation dans une question obscure que dans une question évidente, et qu'il est bien plus facile de faire des conjectures sur une question quelconque que de parvenir à la vérité sur une question, si facile qu'elle soit. De tout cela on doit conclure, non pas, en vérité, qu'il ne faut ap-prendre que l'arithmétique et la géométrie, mais seulement que ceux qui cher-chent le droit chemin de la vérité ne doivent s'occuper d'aucun objet dont ils ne puissent avoir une certitude égale à celle des démonstrations de l'arithmétique et de la géométrie. » Descartes, Règles pour la direction de l'esprit (1629)

« Par le seul fait de s’accomplir, la réalité projette derrière elle son ombre dans le passé indéfiniment lointain ; elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de possible, à sa propre réalisation. De là une erreur qui vicie notre conception du passé ; de là notre prétention d’anticiper en toute occasion l’avenir. Nous nous demandons, par exemple, ce que seront l’art, la littérature, la civilisation de demain ; nous nous figurons en gros la courbe d’évolution des sociétés ; nous allons jusqu’à prédire le détail des événements. Certes, nous pourrons toujours rattacher la réalité, une fois accomplie, aux événements qui l’ont précédée et aux circonstances où elle s’est produite ; mais une réalité toute différente (non pas quelconque, il est vrai) se fût aussi bien rattachée aux mêmes circonstances et aux mêmes événements, pris par un autre côté. Dira-t-on alors qu’en envisageant tous les côtés du présent pour le prolonger dans toutes les directions, on obtiendrait, dès maintenant, tous les possibles entre lesquels l’avenir, à supposer qu’il choisisse, choisira ? Mais d’abord ces prolongements mêmes pourront être des additions de qualités nouvelles, créées de toutes pièces, absolument imprévisibles ; et ensuite un « côté » du présent n’existe comme « côté » que lorsque notre attention l’a isolé, pratiquant ainsi une découpure d’une certaine forme dans l’ensemble des circonstances actuelles : comment alors « tous les côtés » du présent existeraient-ils avant qu’aient été créées, par les événements ultérieurs, les formes originales des découpures que l’attention peut y pratiquer ? Ces côtés n’appartiennent donc que rétrospectivement au présent d’autrefois, c’est-à-dire au passé ; et ils n’avaient pas plus de réalité dans ce présent, quand il était encore présent, que n’en ont, dans notre présent actuel, les symphonies des musiciens futurs. »Henri Bergson, La pensée et le mouvant (1938)

« Dans le domaine spirituel, l'homme recherche la satisfaction et la liberté dans le vouloir et le savoir, dans les connaissances et les actions. L'ignorant n'est pas libre, parce qu'il se trouve en présence d'un monde qui est au-dessus et en dehors de lui, dont il dépend, sans que ce monde étranger soit son œuvre et qu'il s'y sente comme chez lui. La recherche du savoir, l'aspiration à la connaissance, depuis le degré le plus bas jusqu'au niveau le plus élevé, n'ont pour source que ce besoin irrésistible de sortir de cet état de non-liberté, pour s'approprier le monde par la représentation et la pensée. D'autre part, la liberté dans l'action consiste à se conformer à la raison qui exige que la volonté devienne réalité. Cette réalisation de la volonté, conformément aux exigences de la raison, s'effectue dans l'État. Dans un État organisé conformément aux exigences de la raison, toutes les lois et institutions ne sont que des réalisations de la volonté, d'après ses déterminations les plus essentielles. Lorsqu'il en est ainsi, la raison individuelle ne trouve dans ces institutions que la réalisation de sa propre essence, et lorsqu'elle obéit à ces lois, elle n'obéit en définitive qu'à elle-même. On confond souvent la liberté avec l'arbitraire ; mais l'arbitraire n'est qu'une liberté irrationnelle, les choix et les décisions qu'il provoque étant dictés, non par la volonté raisonnable, mais par des impulsions accidentelles, par des mobiles sensibles extérieurs. »Hegel, L'Esthétique (1835)

« Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais : mais que je veuille l'expliquer à la demande, je ne le sais pas ! Et pourtant - je le dis en toute confiance - je sais que si rien ne se passait il n'y aurait pas de temps passé, et si rien n'advenait, il n'y aurait pas d'avenir, et si rien n'existait, il n'y aurait pas de temps présent. Mais ces deux temps, passé et avenir, quel est leur mode d'être alors que le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quant au présent, s'il était toujours présent sans passer au passé, il ne serait plus le temps mais l'éternité. Si donc le présent, pour être du temps, ne devient tel qu'en passant au passé, quel mode d'être lui reconnaître, puisque sa raison d'être est de cesser d'être, si bien que nous pouvons dire que le temps a l'être seulement parce qu'il tend au néant. (...) Enfin, si l'avenir et le passé sont, je veux savoir où ils sont. Si je ne le puis, je sais du moins que, où qu'ils soient, ils n'y sont pas en tant que choses futures ou passées, mais sont choses présentes. Car s'ils y sont, futur il n'y est pas encore, passé il n'y est plus. Où donc qu'ils soient, quels qu'ils soient, ils n'y sont que présents. Quand nous racontons véridiquement le passé, ce qui sort de la mémoire, ce n'est pas la réalité même, la réalité passée, mais des mots, conçus d'après ces images qu'elle a fixées comme des traces dans notre esprit en passant par les sens. » saint augustin, Confessions (397-401)

« Cela posé, pour trouver en quoi consiste l'identité personnelle, il faut voir ce qu'emporte le mot de personne. C'est, à ce que je crois, un Être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, et qui se peut consulter soi-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents temps et en différents lieux ; ce qu'il fait uniquement par le sentiment qu'il a de ses propres actions, lequel est inséparable de la pensée, et lui est, ce me semble, entièrement essentiel, étant impossible à quelque Être que ce soit d'apercevoir sans apercevoir qu'il aperçoit. Lorsque nous voyons, que nous entendons, que nous flairons, que nous goûtons, que nous sentons, que nous méditons, ou que nous voulons quelque chose, nous le connaissons à mesure que nous le faisons. Cette connaissance accompagne toujours nos sensations et nos perceptions présentes : et c'est par là que chacun est à lui-même ce qu'il appelle soi-même. [...] Car puisque la conscience accompagne toujours la pensée, et que c'est là ce qui fait que chacun est ce qu'il nomme soi-même, et par où il se distingue de toute autre chose pensante : c'est aussi en cela seul que consiste l'identité personnelle, ou ce qui fait qu'un Être raisonnable est toujours le même. Et aussi loin que cette conscience peut s'étendre sur les actions ou les pensées déjà passées, aussi loin s'étend l'identité de cette personne : le soi est présentement le même qu'il était alors : et cette action passée a été faite par le même soi que celui qui se la remet à présent dans l’esprit. »John Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain (1689)

« Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement, qui n'y a point de part, essaye de les combattre. Les pyrrhoniens , qui n'ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvements, nombres, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit le double de l'autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre, pour vouloir les recevoir. Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humilier la raison – qui voudrait juger de tout – mais non pas à combattre notre certitude. Comme s'il n'y avait que la raison capable de nous instruire, plût à Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment, mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement. Et c'est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont bienheureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l'ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi n'est qu'humaine et inutile pour le salut. » Pascal, Les Pensées (1670)

« Par le seul fait de s’accomplir, la réalité projette derrière elle son ombre dans le passé indéfiniment lointain ; elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de possible, à sa propre réalisation. De là une erreur qui vicie notre conception du passé ; de là notre prétention d’anticiper en toute occasion l’avenir. Nous nous demandons, par exemple, ce que seront l’art, la littérature, la civilisation de demain ; nous nous figurons en gros la courbe d’évolution des sociétés ; nous allons jusqu’à prédire le détail des événements. Certes, nous pourrons toujours rattacher la réalité, une fois accomplie, aux événements qui l’ont précédée et aux circonstances où elle s’est produite ; mais une réalité toute différente (non pas quelconque, il est vrai) se fût aussi bien rattachée aux mêmes circonstances et aux mêmes événements, pris par un autre côté. Dira-t-on alors qu’en envisageant tous les côtés du présent pour le prolonger dans toutes les directions, on obtiendrait, dès maintenant, tous les possibles entre lesquels l’avenir, à supposer qu’il choisisse, choisira ? Mais d’abord ces prolongements mêmes pourront être des additions de qualités nouvelles, créées de toutes pièces, absolument imprévisibles ; et ensuite un « côté » du présent n’existe comme « côté » que lorsque notre attention l’a isolé, pratiquant ainsi une découpure d’une certaine forme dans l’ensemble des circonstances actuelles : comment alors « tous les côtés » du présent existeraient-ils avant qu’aient été créées, par les événements ultérieurs, les formes originales des découpures que l’attention peut y pratiquer ? Ces côtés n’appartiennent donc que rétrospectivement au présent d’autrefois, c’est-à-dire au passé ; et ils n’avaient pas plus de réalité dans ce présent, quand il était encore présent, que n’en ont, dans notre présent actuel, les symphonies des musiciens futurs. »Henri Bergson, La pensée et le mouvant (1938)

« Cela posé, pour trouver en quoi consiste l'identité personnelle, il faut voir ce qu'emporte le mot de personne. C'est, à ce que je crois, un Être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, et qui se peut consulter soi-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents temps et en différents lieux ; ce qu'il fait uniquement par le sentiment qu'il a de ses propres actions, lequel est inséparable de la pensée, et lui est, ce me semble, entièrement essentiel, étant impossible à quelque Être que ce soit d'apercevoir sans apercevoir qu'il aperçoit. Lorsque nous voyons, que nous entendons, que nous flairons, que nous goûtons, que nous sentons, que nous méditons, ou que nous voulons quelque chose, nous le connaissons à mesure que nous le faisons. Cette connaissance accompagne toujours nos sensations et nos perceptions présentes : et c'est par là que chacun est à lui-même ce qu'il appelle soi-même. [...] Car puisque la conscience accompagne toujours la pensée, et que c'est là ce qui fait que chacun est ce qu'il nomme soi-même, et par où il se distingue de toute autre chose pensante : c'est aussi en cela seul que consiste l'identité personnelle, ou ce qui fait qu'un Être raisonnable est toujours le même. Et aussi loin que cette conscience peut s'étendre sur les actions ou les pensées déjà passées, aussi loin s'étend l'identité de cette personne : le soi est présentement le même qu'il était alors : et cette action passée a été faite par le même soi que celui qui se la remet à présent dans l’esprit. »John Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain (1689)

« Les hommes doivent nécessairement établir des lois et vivre selon des lois, sous peine de ne différer en aucun point des bêtes les plus totalement sauvages. La raison en est qu'aucune nature d'homme ne naît assez douée pour à la fois savoir ce qui est le plus profitable à la vie humaine en cité et, le sachant, pouvoir toujours et vouloir toujours faire ce qui est le meilleur. La première vérité difficile à connaître est, en effet, que l'art politique véritable ne doit pas se soucier du bien particulier, mais du bien général, car le bien commun assemble, le bien particulier déchire les cités, et que bien commun et bien particulier gagnent tous les deux à ce que le premier, plutôt que le second, soit solidement assuré. »Platon, Les Lois

« D'abord, la conscience de soi est être-pour-soi simple égal à soi-même en excluant de soi tout ce qui est autre ; son essence et son objet absolu lui sont le Moi ; et dans cette immédiateté ou dans cet être de son être-pour-soi, elle est quelque chose de singulier. Ce qui est autre pour elle est objet comme objet inessentiel, marqué du caractère du négatif. Mais l'autre est aussi une conscience de soi. Un individu surgit face à face avec un autre individu. Surgissant ainsi immédiatement, ils sont l'un pour l’autre à la manière des objets quelconques ; ils sont des figures indépendantes et, parce que l'objet étant s'est ici déterminé comme vie, ils sont des consciences enfoncées dans l’être de la vie. […] En d’autres termes, ces consciences ne se sont pas encore présentées réciproquement chacun comme pur être-pour-soi, c'est-à-dire comme conscience de soi. Chacune est bien certaine de soi-même, mais non de l'autre ; et ainsi sa propre certitude de soi n'a encore aucune vérité ; car sa vérité consisterait seulement en ce que son propre être-pour-soi se serait présenté à elle comme objet indépendant, ou, ce qui est la même chose, en ce que l'objet se serait présenté comme cette pure certitude de soi-même. Mais selon le concept de la reconnaissance, cela n'est possible que si l'autre objet accomplit en soi-même pour le premier, comme le premier pour l'autre, cette pure abstraction de l'être-pour-soi, chacun l'accomplissant par sa propre opération et à nouveau par l'opération de l'autre. Se présenter soi-même comme pure abstraction de la conscience de soi consiste à se montrer comme pure négation de sa manière d'être objective, ou consiste à montrer qu'on n'est attaché à aucun être-là déterminé […], à montrer qu'on n'est pas attaché à la vie. […] Le comportement des deux consciences de soi est donc déterminé de telle sorte qu'elles se prouvent elles-mêmes et l'une à l'autre au moyen de la lutte pour la vie et la mort. […] C'est seulement par le risque de sa vie qu'on conserve la liberté, qu'on prouve que l'essence de la conscience de soi n'est pas l'être, n'est pas le mode immédiat dans lequel la conscience de soi surgit d'abord, n'est pas son enfoncement dans l’expansion de la vie ; on prouve plutôt par ce risque que dans la conscience de soi il n'y a rien de présent qui ne soit pour elle un moment disparaissant, on prouve qu'elle est seulement un pur être-pour-soi. » G. W. Hegel, La phénoménologie de l'esprit (1807)

« Enfin il n'y a aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examinent, que notre corps n'est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu'il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion. Je dis les paroles ou autres signes, parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix; et que ces signes soient à propos, pour exclure le parler des perroquets, sans exclure celui des fous, qui ne laisse pas d'être à propos des sujets qui se présentent, bien qu'il ne suive pas la raison; et j'ajoute que ces paroles ou signes ne se doivent rapporter à aucune passion, pour exclure non seulement les cris de joie ou de tristesse, et semblables, mais aussi tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse lorsqu'elle la voit arriver, ce ne peut être qu'en faisant que la prolation de cette parole devienne le mouvement de quelqu'une de ses passions; à savoir, ce sera un mouvement de l'espérance qu'elle a de manger, si l'on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise lorsqu'elle l'a dit; et ainsi toutes les choses qu'on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu'ils les peuvent faire sans aucune pensée. Or il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu'à l'homme seul. Car, bien que Montaigne (…) [ait] dit qu'il y a plus de différence d'homme à homme, que d'homme à bête, il ne s'est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu'elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d'autres animaux quelque chose qui n'eût point de rapport à ses passions; et il n'y a point d'homme si imparfait, qu'il n'en use; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu'elles n'ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu'elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s'ils en avaient. Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m'en étonne pas car cela même sert à prouver qu'elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu'une horloge, laquelle montre bien mieux l'heure qu'il est, que notre jugement ne nous l'enseigne. Et sans doute que, lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges. » R. Descartes, Lettre au Marquis de Newcastel (23 nov. 1646)

« Or maintenant, si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l'idée de quelque chose, il s'ensuit que tout ce que je reconnais clairement et distinctement appartenir à cette chose, lui appartient en effet, ne puis-je pas tirer de ceci un argument et une preuve démonstrative de l'existence de Dieu ? Il est certain que je ne trouve pas moins en moi son idée, c'est-à-dire l'idée d'un être souverainement parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre que ce soit. Et je ne connais pas moins clairement et distinctement qu'une actuelle et éternelle existence appartient à sa nature, que je connais que tout ce que ce je puis démontrer de quelque figure ou quelque nombre, appartient véritablement à la nature de cette figure ou de ce nombre. Et partant, encore que tout ce que j'ai conclu dans les Méditations précédentes ne se trouvât pas véritable, l'existence de Dieu doit passer en mon esprit au moins pour aussi certaine, que j'ai estimé jusques ici toutes les vérités des mathématiques, qui ne regardent que les nombres et les figures : bien qu'à la vérité cela ne paraisse pas d'abord entièrement manifeste, mais semble avoir quelque apparence de sophisme. Car, ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire distinction entre l'existence et l'essence, je me persuade aisément que l'existence peut être séparée de l'essence de Dieu, et qu'ainsi on peut concevoir Dieu comme n'étant pas actuellement. Mais néanmoins, lorsque j'y pense avec plus d'attention, je trouve manifestement que l'existence ne peut non plus être séparée de l'essence de Dieu, que de l'essence d'un triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux à deux droits, ou bien de l'idée d'une montagne l'idée d'une vallée ; en sorte qu'il n'y a pas moins de répugnance de concevoir un Dieu (c'est-à-dire un être souverainement parfait) auquel manque l'existence (c'est-à-dire auquel manque quelque perfection), que de concevoir une montagne qui n'ait point de vallée. Mais encore qu'en effet je ne puisse pas concevoir un Dieu sans existence, non plus qu'une montagne sans vallée, toutefois, comme de cela seul que je conçois une montagne avec une vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait aucune montagne dans le monde, de même aussi, quoique je conçoive Dieu avec l'existence, il semble qu'il ne s'ensuit pas pour cela qu'il y en ait aucun qui existe : car ma pensée n'impose aucune nécessité aux choses ; et comme il ne tient qu'à moi d'imaginer un cheval ailé, encore qu'il n'y en ait aucun qui ait des ailes, ainsi je pourrais peut-être attribuer l'existence à Dieu, encore qu'il n'y eût aucun Dieu qui existât. Tant s'en faut, c'est ici qu'il y a un sophisme caché sous l'apparence de cette objection : car de ce que je ne puis concevoir une montagne sans vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait au monde aucune montagne, ni aucune vallée, mais seulement que la montagne et la vallée, soit qu'il y en ait, soit qu'il n'y en ait point, ne se peuvent en aucune façon séparer l'une d'avec l'autre ; au lieu que, de cela seul que je ne puis concevoir Dieu sans l'existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui, et partant qu'il existe véritablement : non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu'elle impose aux choses aucune nécessité ; mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l'existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. Car il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection), comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes. » R. Descartes, Les méditations métaphysiques (1641)

« La culture humaine — j'entends par là tout ce en quoi une vie humaine s'est élevée au-dessus de ses conditions animales et ce en quoi elle se différencie de la vie des bêtes, et je dédaigne de séparer culture et civilisation — présente, comme on sait, deux faces à l'observateur. Elle englobe d'une part tout le savoir et tout le savoir-faire que les hommes ont acquis afin de dominer les forces de la nature et de gagner sur elle des biens pour la satisfaction des besoins humains, et d'autre part tous les dispositifs qui sont nécessaires pour régler les relations des hommes entre eux et en particulier la répartition des biens accessibles. Ces deux orientations de la culture ne sont pas indépendantes l'une de l'autre, premièrement parce que les relations mutuelles des hommes sont profondément influencées par la mesure de satisfaction pulsionnelle que permettent les biens disponibles, deuxièmement parce que l'homme lui-même, pris isolément, est susceptible d'entrer avec un autre dans une relation qui fait de lui un bien, pour autant que cet autre utilise sa force de travail ou le prend pour objet sexuel ; mais aussi, troisièmement parce que chaque individu est virtuellement un ennemi de la culture, laquelle est pourtant censée être d'intérêt humain universel. Il est remarquable que les hommes, si tant est qu'ils puissent exister dans l'isolement, ressentent néanmoins comme une pression pénible les sacrifices que la culture attend d'eux pour permettre la vie en commun. La culture doit donc être défendue contre l'individu, et ses dispositifs, institutions et commandements se mettent au service de cette tâche ; ceux-ci visent non seulement à instaurer une certaine répartition des biens, mais encore à la maintenir ; de fait, ils doivent protéger contre les motions hostiles des hommes tout ce qui sert à contraindre la nature et à produire des biens. »Sigmund Freud, L'avenir d'une illusion (1927)

« Il est évident que l’homme est un animal politique, bien plus que n’importe quelle abeille ou n’importe quel animal grégaire. Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux, l’homme est doué de parole. Certes la voix sert à signifier la douleur et le plaisir et c’est pourquoi on la rencontre chez les autres animaux (car leur nature s’est hissée jusqu’à la faculté de percevoir douleur et plaisir et de se signifier mutuellement). Mais la parole existe en vue de manifester l’utile et le nuisible, puis aussi, par voie de conséquence, le juste et l’injuste. C’est ce qui fait qu’il n’y a qu’une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux : la perception du bien et du mal, du juste et de l’injuste et autres notions de ce genre, et avoir de telles notions en commun, voilà ce qui fait une famille et une cité. »Aristote, Politique (330 av. J.-C.)

« Il est évident que l’homme est un animal politique, bien plus que n’importe quelle abeille ou n’importe quel animal grégaire. Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux, l’homme est doué de parole. Certes la voix sert à signifier la douleur et le plaisir et c’est pourquoi on la rencontre chez les autres animaux (car leur nature s’est hissée jusqu’à la faculté de percevoir douleur et plaisir et de se signifier mutuellement). Mais la parole existe en vue de manifester l’utile et le nuisible, puis aussi, par voie de conséquence, le juste et l’injuste. C’est ce qui fait qu’il n’y a qu’une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux : la perception du bien et du mal, du juste et de l’injuste et autres notions de ce genre, et avoir de telles notions en commun, voilà ce qui fait une famille et une cité. »Aristote, Politique (330 av. J.-C.)

« Il est évident que l’homme est un animal politique, bien plus que n’importe quelle abeille ou n’importe quel animal grégaire. Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux, l’homme est doué de parole. Certes la voix sert à signifier la douleur et le plaisir et c’est pourquoi on la rencontre chez les autres animaux (car leur nature s’est hissée jusqu’à la faculté de percevoir douleur et plaisir et de se signifier mutuellement). Mais la parole existe en vue de manifester l’utile et le nuisible, puis aussi, par voie de conséquence, le juste et l’injuste. C’est ce qui fait qu’il n’y a qu’une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux : la perception du bien et du mal, du juste et de l’injuste et autres notions de ce genre, et avoir de telles notions en commun, voilà ce qui fait une famille et une cité. »Aristote, Politique (330 av. J.-C.)

« Comment, demandera-t-on encore, les variétés ou espèces naissantes, comme je les appelle, finissent-elles par se convertir en espèces distinctes qui, dans la plupart des cas, diffèrent évidemment plus entre elles que ne le font les variétés d'une même espèce ? Comment surgissent ces groupes d'espèces qui constituent ce que nous nommons des genres distincts, et qui diffèrent entre eux plus que ne le font les espèces du même genre ? Tous ces résultats [...] sont la conséquence de la lutte pour l'existence. C'est grâce à cette lutte que les variations, si minimes qu'elles soient d'ailleurs, et quelle qu'en soit la cause déterminante, tendent à assurer la conservation des individus qui les présentent, et les transmettent à leurs descendants, pour peu qu'elles soient à quelque degré utiles et avantageuses à ces membres de l'espèce, dans leurs rapports si complexes avec les autres êtres organisés, et les conditions physiques dans lesquelles ils se trouvent. Leur descendance aura ainsi plus de chances de réussite ; car, sur la quantité d'individus d'une espèce quelconque qui naissent périodiquement, il n'en est qu'un petit nombre qui puissent survivre. J'ai donné à ce principe, en vertu duquel toute variation avantageuse tend à être conservée, le nom de sélection naturelle, pour indiquer ses rapports avec la sélection appliquée par l'homme. » C. Darwin, L'origine des espèces (1859)

« Quant à l’usage de la langue, il faut considérer ce fait surprenant : les mots ne sont pas seulement les signes des pensées, mais aussi des choses, et nous avons besoin des signes non seulement pour exprimer ce que nous pensons à d’autres, mais aussi pour venir nous-mêmes en aide à nos propres réflexions. Car, de même que dans les grandes villes commerçantes, on ne paye pas, même au jeu, chaque fois en argent comptant, mais qu’on utilise à la place, jusqu’au moindre règlement ou paiement, des billets et des jetons, ainsi procède l’entendement – surtout quand il a beaucoup à penser – avec les images des choses. Plus précisément, il se sert de signes pour ne pas être dans l’obligation de considérer à nouveau la chose chaque fois qu’elle se présente. C’est pourquoi, une fois qu’il l’a bien comprise, il se contente par la suite de poser souvent le mot à la place de la chose, non seulement dans ses discours en public, mais aussi dans ses pensées et le dialogue qu’il entretien en lui-même en privé. Et de même qu’un maître ès arithmétique – qui ne voudrait écrire aucun nombre dont il ne se représenterait en même temps la valeur et, pour ainsi dire, compterait sur ses doigts comme on compte les heures – ne viendrait jamais au bout de son calcul, de même celui qui ne voudrait dire ni penser aucun mot, sans s’être fait une image concrète de sa signification, parlerait très lentement, mieux encore, ne pourrait que se taire. Il inhiberait nécessairement le cours de sa pensée et finalement n’irait pas loin ni dans son discours ni dans sa pensée. C’est pourquoi on a besoin de mots comme de chiffres ou de monnaies, à la place des images et des choses, pour accéder progressivement à un résultat et parvenir au moyen du raisonnement à la chose même. On voit par-là combien il importe que les mots – compris comme des modèles et pour ainsi dire comme des lettres de changes de l’entendement – soient bien conçus, qu’ils soient bien distincts, d’un usage courant, nombreux, faciles et agréables à prononcer. » G. F. Liebniz, L'harmonie des langues (1697)

« Il y a mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c'est-à-dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre, ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont rien d'assez distinguant à part ; mais jointes à d'autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l'assemblage. C'est ainsi que l'accoutumance fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d'un moulin ou à une chute d'eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps. Ce n'est pas que ce mouvement ne frappe toujours nos organes, et qu'il ne se passe encore quelque chose dans l'âme qui y réponde, à cause de l'harmonie de l'âme et du corps, mais ces impressions qui sont dans l'âme et dans le corps, destituées des attraits de la nouveauté, ne sont pas assez fortes pour s'attirer notre attention et notre mémoire, attachées à des objets plus occupants. Car toute attention demande de la mémoire, et souvent, quand nous ne sommes point admonestés, pour ainsi dire, et avertis de prendre garde à quelques-unes de nos propres perceptions présentes, nous les laissons passer sans réflexion et même sans être remarquées. Mais si quelqu'un nous en avertit incontinent après et nous fait remarquer, par exemple, quelque bruit qu'on vient d'entendre, nous nous en souvenons et nous nous apercevons d'en avoir eu tantôt quelque sentiment. Ainsi c'étaient des perceptions dont nous ne nous étions pas aperçus incontinent, l'aperception ne venant dans ce cas que de l'avertissement après quelque intervalle, tout petit qu'il soit. Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions distinguer dans la foule, j'ai coutume de me servir de l'exemple du mugissement ou du bruit de la mer, dont on est frappé quand on est au rivage. Pour entendre ce bruit comme l'on fait, il faut bien qu'on entende les parties qui composent ce tout, c'est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l'assemblage confus de tous les autres ensemble, c'est-à-dire dans ce mugissement même, et qu'il ne se remarquerait pas si cette vague, qui le fait, était seule. Car il faut qu'on soit affecté un peu par le mouvement de cette vague et qu'on ait quelque perception de chacun de ces bruits, quelque petits qu'ils soient ; autrement on n'aurait pas celle de cent mille vagues, puisque cent mille riens ne sauraient faire quelque chose. [...] Nous avons une infinité de petites perceptions et que nous ne saurions distinguer : un grand bruit étourdissant comme par exemple le murmure de tout un peuple assemblé est composé de tous les petits murmures de personnes particulières qu'on ne remarquerait pas à part mais dont on a pourtant un sentiment, autrement on ne sentirait point le tout. » G. W. Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain (1703)

« Éveiller l'âme : tel est, dit-on, le but final de l'art, tel est l'effet qu'il doit chercher à obtenir. C'est de cela que nous avons à nous occuper en premier lieu. En envisageant le but final de l'art sous ce dernier aspect, en nous demandant notamment quelle est l'action qu'il doit exercer, qu'il peut exercer et qu'il exerce effectivement, nous constatons aussitôt que le contenu de l'art comprend tout le contenu de l'âme et de l'esprit, que son but consiste à révéler à l'âme tout ce qu'elle recèle d'essentiel, de grand, de sublime, de respectable et de vrai. Il nous procure, d'une part, l'expérience de la vie réelle, nous transporte dans des situations que notre expérience personnelle ne nous fait pas, et ne nous fera peut-être jamais connaître : les expériences des personnes qu'il représente, et, grâce à la part que nous prenons à ce qui arrive à ces personnes, nous devenons capables de ressentir plus profondément ce qui se passe en nous-mêmes. D'une façon générale, le but de l'art consiste à rendre accessible à l'intuition ce qui existe dans l'esprit humain, la vérité que l'homme abrite dans son esprit, ce qui remue la poitrine humaine et agite l'esprit humain. C'est ce que l'art a pour tâche de représenter, et il le fait au moyen de l'apparence qui, comme telle, nous est indifférente, dès l'instant où elle sert à éveiller en nous le sentiment et la conscience de quelque chose de plus élevé. C'est ainsi que l'art renseigne sur l'humain, éveille des sentiments endormis, nous met en présence des vrais intérêts de l'esprit. Nous voyons ainsi que l'art agit en remuant, dans leur profondeur, leur richesse et leur variété, tous les sentiments qui s'agitent dans l'âme humaine, et en intégrant dans le champ de notre expérience ce qui se passe dans les régions intimes de cette âme. « Rien de ce qui est humain ne m'est étranger » : telle est la devise qu'on peut appliquer à l'art. » Hegel, L'Esthétique (1832)

« Encore que la terre et toutes les créatures inférieures soient communes et appartiennent en général à tous les hommes, chacun pourtant a un droit particulier sur sa propre personne, sur laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre. Tout ce qu'il a tiré de l'état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul : car cette peine et cette industrie étant les siennes propres et seules, personne ne saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie, surtout s'il reste aux autres assez de choses communes aussi bonnes et semblables. Un homme qui se nourrit de glands qu'il ramasse sous un chêne, ou de pommes qu'il cueille sur des arbres, dans un bois, se les approprie certainement par-là. On ne saurait contester que ce dont il se nourrit, en cette occasion, ne lui appartienne légitimement. Je pose donc la question suivante : Quand est-ce que ces choses qu'il mange commencent à lui appartenir en propre ? Lorsqu'il les digère, ou lorsqu'il les mange, ou lorsqu'il les cuit, ou lorsqu'il les porte chez lui, ou lorsqu'il les cueille ? Il est visible qu'il n'y a rien qui puisse les rendre siennes, que le soin et la peine qu'il prend de les cueillir et de les amasser. Son travail distingue et sépare alors ces fruits des autres biens qui sont communs ; il y ajoute quelque chose de plus que la nature, la mère commune de tous, n'y a mis; et, par ce biais, ils deviennent son bien particulier. » Locke, Traité du gouvernement civil (1690)

« L'histoire des sentiments en vertu desquels nous rendons quelqu'un responsable, c'est-à-dire des sentiments appelés moraux, se déroule selon les grandes phases suivantes. On commence par dire bonnes ou mauvaises des actions prises séparément sans regarder à leurs motifs, mais uniquement en raison de leurs conséquences utiles ou nuisibles. Mais on oublie bien vite l'origine de ces désignations et l'on s'imagine que la qualité de « bonnes » ou « mauvaises » est inhérente aux actions en soi, indépendamment de leurs conséquences : épousant la même erreur qui fait que le langage qualifie la pierre elle-même de dure, l'arbre lui-même de vert - c'est-à-dire prenant pour la cause ce qui est l'effet. Ensuite on introduit la qualité bonne ou mauvaise dans les motifs eux-mêmes et ce sont les actes en soi que l'on considère comme moralement ambigus. Allant plus loin, on attribue le prédicat bon ou mauvais non plus au motif isolé, mais à l'être même d'un individu tout entier, qui produit le motif comme le sol la plante. C'est ainsi que l'on rend l'homme successivement responsable des effets qu'il provoque, puis de ses actions, puis de ses motifs et enfin de son être même. On finit alors par découvrir que cet être ne peut pas être responsable non plus, dans la mesure où il n'est rien que conséquence et résultat d'un enchevêtrement d'éléments et d'influences de choses passées et présentes ; tant et si bien que l'on ne peut rendre l'homme responsable de rien, ni de son être, ni de ses motifs, ni de ses actes, ni de leurs effets. On en arrive ainsi au point de reconnaître que l'histoire des sentiments moraux est l'histoire d'une erreur, l'erreur de la responsabilité : laquelle repose sur l'erreur touchant la liberté de la volonté. »Nietzsche, Humain, trop humain (1878)

"Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu'une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu'il est à un arbre de produire des fruits. C'est pourquoi, en même façon qu'un horloger, en voyant une montre qu'il n'a point faite, peut ordinairement juger, de quelques unes de ses parties qu'il regarde, quelles sont toutes les autres qu'il ne voit pas : ainsi, en considérant les effets et les parties sensibles des corps naturels, j'ai tache de connaitre quelles doivent être celles de leurs parties qui sont insensibles."R. Descartes, Principes de la philosophie (1644)

« Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain. Mais que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu ou quelque autre puissance qui me met en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je point quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel aucune terre, aucuns esprits ni aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes : j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit. »René Descartes, Méditations métaphysiques (1641)

« Mais quelle peut bien être cette loi dont la représentation, sans même avoir égard à l'effet qu'on en attend, doit déterminer la volonté pour que celle-ci puisse être appelée bonne absolument et sans restriction ? Puisque j'ai dépossédé la volonté de toutes les impulsions qui pourraient être suscitées en elles par l'idée des résultats liés à l'observation de quelque loi, il ne reste plus que la conformité universelle des actions à la loi en général, qui doit seule lui servir de principe ; en d'autres termes, je dois toujours me conduire de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi universelle. Ici donc, c'est la simple conformité à la loi en général (sans prendre pour base quelque loi déterminée pour certaines actions) qui sert de principe à la volonté, et qui doit même lui servir de principe, si le devoir n'est pas une illusion vaine et un concept chimérique. »Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs (1785)

« Sitôt que j'eus acquis quelques notions générales touchant la physique, et que commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusque où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie.»R. Descartes, Discours de la méthode (1637)

« La culture humaine — j'entends par là tout ce en quoi une vie humaine s'est élevée au-dessus de ses conditions animales et ce en quoi elle se différencie de la vie des bêtes, et je dédaigne de séparer culture et civilisation — présente, comme on sait, deux faces à l'observateur. Elle englobe d'une part tout le savoir et tout le savoir-faire que les hommes ont acquis afin de dominer les forces de la nature et de gagner sur elle des biens pour la satisfaction des besoins humains, et d'autre part tous les dispositifs qui sont nécessaires pour régler les relations des hommes entre eux et en particulier la répartition des biens accessibles. Ces deux orientations de la culture ne sont pas indépendantes l'une de l'autre, premièrement parce que les relations mutuelles des hommes sont profondément influencées par la mesure de satisfaction pulsionnelle que permettent les biens disponibles, deuxièmement parce que l'homme lui-même, pris isolément, est susceptible d'entrer avec un autre dans une relation qui fait de lui un bien, pour autant que cet autre utilise sa force de travail ou le prend pour objet sexuel ; mais aussi, troisièmement parce que chaque individu est virtuellement un ennemi de la culture, laquelle est pourtant censée être d'intérêt humain universel. Il est remarquable que les hommes, si tant est qu'ils puissent exister dans l'isolement, ressentent néanmoins comme une pression pénible les sacrifices que la culture attend d'eux pour permettre la vie en commun. La culture doit donc être défendue contre l'individu, et ses dispositifs, institutions et commandements se mettent au service de cette tâche ; ceux-ci visent non seulement à instaurer une certaine répartition des biens, mais encore à la maintenir ; de fait, ils doivent protéger contre les motions hostiles des hommes tout ce qui sert à contraindre la nature et à produire des biens. »Sigmund Freud, L'avenir d'une illusion (1927)

« Il n'est pas nécessaire à un prince d'avoir toutes les bonnes qualités dont j'ai fait l'énumération, mais il lui est indispensable de paraître les avoir. J'oserai même dire qu'il est quelquefois dangereux d'en faire usage, quoiqu'il soit toujours utile de paraître les posséder. Un prince doit s'efforcer de se faire une réputation de bonté, de clémence, de piété, de loyauté et de justice ; il doit d'ailleurs avoir toutes ces bonnes qualités, mais rester assez maître de soi pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient. Je pose en fait qu'un prince, surtout un prince nouveau, ne peut exercer impunément toutes les vertus de l'homme moyen, parce que l'intérêt de sa conservation l'oblige souvent à violer les lois de l'humanité, de la charité, de la loyauté et de la religion. Il doit se plier aisément aux différentes circonstances dans lesquelles il peut se trouver. En un mot, il doit savoir persévérer dans le bien, lorsqu'il n'y trouve aucun inconvénient, et s'en détourner lorsque les circonstances l'exigent. Il doit surtout s'étudier à ne rien dire qui ne respire la bonté, la justice, la civilité, la bonne foi et la piété ; mais cette dernière qualité est celle qu'il lui importe le plus de paraître posséder, parce que les hommes en général jugent plus par leurs yeux que par leurs mains. Tout homme peut voir ; mais très peu d'hommes savent toucher. Chacun voit aisément ce qu'on paraît être, mais presque personne n'identifie ce qu'on est ; et ce petit nombre d'esprits pénétrants n'ose pas contredire la multitude, qui a pour bouclier la majesté de l'État. Or, quand il s'agit de juger l'intérieur des hommes, et surtout celui des princes, comme on ne peut avoir recours aux tribunaux, il ne faut s'attacher qu'aux résultats : le point est de se maintenir dans son autorité ; les moyens, quels qu'ils soient, paraîtront toujours honorables, et seront loués de chacun. Car le vulgaire se prend toujours aux apparences, et ne juge que par l'événement. » Machiavel, Le Prince (1513)

« Ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement de formes dans les matières naturelles, il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n'est pas momentanée. L'œuvre exige pendant toute sa durée, outre l'effort des organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d'une tension constante de la volonté. Elle l'exige d'autant plus que par son objet et son mode d'exécution, le travail entraîne moins le travailleur, qu'il se fait moins sentir à lui comme le libre jeu de ses forces corporelles et intellectuelles, en un mot, qu'il est moins attrayant.» « Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué (...), il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. » « Dès que l’homme, au lieu d’agir avec l’outil sur l’objet de travail, n’agit plus que comme moteur d’une machine-outil, l’eau, le vent, la vapeur peuvent le remplacer, et le déguisement de la force motrice sous des muscles humains devient purement accidentel. » Marx, Le Capital (1867)

« Il faut établir comme règle générale que jamais, ou bien rarement du moins, on n'a vu une république ni une monarchie être bien constituées dès l'origine, ou totalement réformées depuis, si ce n'est par un seul individu ; il lui est même nécessaire que celui qui a conçu le plan fournisse lui seul les moyens d'exécution. Ainsi, un habile législateur qui entend servir l'intérêt commun et celui de la patrie plutôt que le sien propre et celui de ses héritiers, doit employer toute son industrie pour attirer à soi tout le pouvoir. Un esprit sage ne condamnera jamais quelqu'un pour avoir usé d'un moyen hors des règles ordinaires pour régler une monarchie ou fonder une république. Ce qui est désiré, c'est que si le fait l'accuse, le résultat l'excuse ; si le résultat est bon, il est acquitté ; tel est le cas de Romulus. Ce n'est pas la violence qui restaure, mais la violence qui ruine qu'il faut condamner. Le législateur aura assez de sagesse et de vertu pour ne pas léguer à autrui l'autorité qu'il a prise en main : les hommes étant plus enclins au mal qu'au bien, son successeur pourrait bien faire mauvais usage de l'autorité dont pour sa part il aura bien usé ; d'ailleurs un seul homme est bien capable de constituer un État, mais bien courte serait la durée et de l'État et de ses lois si l'exécution en était remise aux mains d'un seul ; le moyen de l'assurer, c'est de la confier aux soins et à la garde de plusieurs. » Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live (1531)

« Il est évident que l’homme est un animal politique, bien plus que n’importe quelle abeille ou n’importe quel animal grégaire. Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux, l’homme est doué de parole. Certes la voix sert à signifier la douleur et le plaisir et c’est pourquoi on la rencontre chez les autres animaux (car leur nature s’est hissée jusqu’à la faculté de percevoir douleur et plaisir et de se signifier mutuellement). Mais la parole existe en vue de manifester l’utile et le nuisible, puis aussi, par voie de conséquence, le juste et l’injuste. C’est ce qui fait qu’il n’y a qu’une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux : la perception du bien et du mal, du juste et de l’injuste et autres notions de ce genre, et avoir de telles notions en commun, voilà ce qui fait une famille et une cité. »Aristote, Politique (330 av. J.-C.)

« L’une des imperfections radicales du discours parlé ou écrit, C’est qu’il constitue une série essentiellement linéaire ; que son mode de construction nous oblige à exprimer successivement, par une série linéaire de signes, des rapports que L’esprit perçoit ou qu’il devrait percevoir simultanément et dans un autre ordre ; à disloquer dans l’expression ce qui se tient dans la pensée ou dans l’objet de la pensée. La chose sera évidente pour tout le monde s’il s’agit de décrire par la parole, je ne dirais pas un tableau ou un paysage (car déjà nous avons trouvé, dans la continuité des formes, des nuances et des grandeurs, une autre cause qui rend impossible la traduction exacte par des signes discontinus), mais un système composé de parties discontinues, tel qu’une machine d’horlogerie. De quelque point que nous partions pour décrire les pièces de la machine, et leur jeu réciproque, quelque ordre que nous suivions, nous éprouveront la plus grande peine à faire comprendre par le seul discours l’ensemble de la machine, et nous n’en donnerons qu’une idée très imparfaite. La cause en est manifestement dans la nécessité de décrire les pièces une à une, et dans l’impossibilité où nous sommes de passer de l’une d’entre elles a une autre qui est avec celle-ci en connexion immédiate, sans abandonner toutes celles qui sont aussi en connexion immédiate avec la première. Or, cette simultanéité de connexions, ces rapports de dépendance mutuelle ne se retrouvent pas seulement dans les choses étendues, matérielles et sensibles, mais dans tout ce qui fait l’objet des spéculations de l’entendement. Combien de fois n’éprouvons-nous pas la difficulté de mettre, comme on dit, en ordre les idées qui s’offrent simultanément à notre esprit ! Et après bien des essais, nous trouvons souvent que cette ordre qui nous a coûté tant de peine n’est point la reproduction fidèle de l’ordre dont nous croyons posséder le type intérieurement, et que nous cherchons vainement à manifester aux autres, ou à fixer pour nous-mêmes à l’aide des signes, entravés que nous sommes par la nature des signes, par la loi du langage, par la forme sensible de cet instrument de nos pensées. Sur quelque échelle que l’on opère, dans quelque mode d’abstraction que l’on se tienne, la même influence se fait sentir de la même manière. Nos traités, nos méthodes scientifiques, nos histoires, nos codes sont autant d’essais dont le but est de coordonner en séries linéaires, d’enchaîner (c’est le mot propre) des faits, des idées, des phénomènes, des rapports qui ne sauraient le plus souvent se prêter sans violence à un pareil enchaînement. » A. Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851)

« Il est évident que l’homme est un animal politique, bien plus que n’importe quelle abeille ou n’importe quel animal grégaire. Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux, l’homme est doué de parole. Certes la voix sert à signifier la douleur et le plaisir et c’est pourquoi on la rencontre chez les autres animaux (car leur nature s’est hissée jusqu’à la faculté de percevoir douleur et plaisir et de se signifier mutuellement). Mais la parole existe en vue de manifester l’utile et le nuisible, puis aussi, par voie de conséquence, le juste et l’injuste. C’est ce qui fait qu’il n’y a qu’une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux : la perception du bien et du mal, du juste et de l’injuste et autres notions de ce genre, et avoir de telles notions en commun, voilà ce qui fait une famille et une cité. »Aristote, Politique (330 av. J.-C.)

« De divers côtés on nous conteste le droit de postuler l’existence d’un psychisme inconscient et de travailler scientifiquement à l’aide de cette donnée. Nous répondrons que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime et que l’existence de l’inconscient est prouvée de maintes façons. Elle est nécessaire parce que les renseignements que fournit le conscient sont pleins de lacunes ; tant chez les êtres normaux que chez les malades on observe souvent des actes psychiques qui, pour être compris, présupposent d’autres actes dont le conscient cependant ne sait rien témoigner. Il ne s’agit pas seulement ici des actes manqués, des rêves faits par les normaux, de tout ce qu’on appelle symptômes psychiques et phénomènes obsessionnels chez les malades, mais notre expérience journalière personnelle nous permet d’observer des idées dont l’origine nous reste inconnue et des résultats de pensée dont l’élaboration nous demeure mystérieuse. Tous ces actes conscients resteraient incohérents et incompréhensibles si nous persistions à soutenir que le conscient suffit à nous révéler tous les actes psychiques qui se passent en nous. Par contre, ils deviennent d’une évidente cohérence lorsque nous interpolons les actes inconscients auxquels nous avons conclu. Le gain en signification et en cohérence est cependant un motif bien fondé, susceptible de nous mener au-delà de l’expérience immédiate. Et s’il est prouvé que l’hypothèse de l’inconscient permet de baser sur elle un procédé fertile en résultats et grâce auquel nous pouvons utilement influencer le cours des processus conscients, cet heureux résultat sera la preuve inattaquable du bien-fondé de notre hypothèse. Il faut alors considérer que c’est une prétention insoutenable d’exiger que tout ce qui se passe dans le psychisme doive être connu du conscient. On peut aller plus loin, et avancer, pour étayer la thèse d’un état psychique inconscient, que la conscience ne comporte à chaque moment qu’un contenu minime si bien que, mis à part celui-ci, la plus grande partie de ce que nous nommons connaissance consciente se trouve nécessairement, pendant les plus longues périodes en état de latence, donc dans un état d’inconscience psychique. Si l’on tenait compte de l’existence de tous nos souvenirs latents, il deviendrait parfaitement inconcevable de contester l’inconscient. […] Mais l’hypothèse de l’inconscient est aussi tout à fait légitime, du fait que rien, en elle, ne dévie de notre mode de pensée considéré comme correct. Le conscient ne permet à chacun de nous de connaître que ses propres états psychiques. Si nous admettons que notre prochain possède un conscient, c’est en procédant par analogie, et cette conclusion se fonde sur les manifestations perceptibles dudit prochain, et nous permet de comprendre son comportement. (Du point de vue psychologique, il serait d’ailleurs plus exact de dire que, sans avoir besoin d’y spécialement réfléchir, nous prêtons à toute personne notre propre constitution, donc notre conscience, et que cette identification est la condition préliminaire de notre compréhension.). » Sigmund Freud, Métapsychologie (1912)

« Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l'homme fait la religion, la religion ne fait pas l'homme. Plus précisément : la religion est la conscience de soi et de sa valeur de l'homme qui ou bien ne s'est pas encore conquis lui-même, ou bien s'est déjà perdu à nouveau. Mais l'homme, ce n'est pas un être abstrait, installé hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, une conscience du monde à l'envers, parce qu'ils sont un monde à l'envers. La religion, c'est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement général de sa consolation et de sa justification. Elle est la réalisation fantastique de l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de réalité vraie. La lutte contre la religion est immédiatement la lutte contre ce monde dont la religion est l'arôme spirituel. La misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature tourmentée, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit de situations dépourvues d'esprit. Elle est l'opium du peuple. L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c'est l'exigence de son bonheur véritable. Exiger de renoncer aux illusions relatives à son état, c'est exiger de renoncer à une situation qui a besoin de l'illusion. La critique de la religion est donc dans son germe la critique de la vallée des larmes, dont l'auréole est la religion. » C. Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel (1843)