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Tristan et Iseut - chapitre 2
sophie.lemaire959
Created on February 3, 2022
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Transcript
CHAPITRE 2 : Le Morholt d’Irlande
À son retour, Tristan trouva Marc et ses barons très tourmentés. Le roi d’Irlande menaçait de ravager la Cornouailles si Marc s’obstinait à refuser de payer le tribut (1) jadis versé par ses ancêtres. Selon d’anciens traités, la Cornouailles devait en effet verser à l’Irlande, la première année trois cents livres (2) de cuivre, la seconde, trois cents livres d’argent, et la troisième, cent livres d’or. Pour la quatrième année, les Irlandais emportaient trois cents jeunes garçons et trois cents jeunes filles.
(1) tribut : ce que le vaincu doit payer au vainqueur (2) livre : monnaie
Cette année-là, le roi avait envoyé à Tintagel un impressionnant messager. C’était un chevalier géant, nommé le Morholt. Personne n’avait encore réussi à le vaincre au combat. Il dit au roi : - «Roi Marc, je te le dis pour la dernière fois : le roi d’Irlande, mon seigneur, te réclame le tribut que tu lui dois. Et parce que tu l’as trop fait attendre, il te demande de me livrer en ce jour trois cents jeunes garçons et trois cents jeunes filles de quinze ans. Ma nef (1) les emportera pour qu’ils deviennent nos serfs (2).
(1) une nef : un navire (2) un serf : personne au service d'un seigneur, sorte d'esclave
Mais si l’un de tes barons veut se mesurer à moi pour prouver que le roi d’Irlande lève injustement ce tribut, j’accepterai son gage (1).» Il regarda les barons autour de lui et poursuivit : - «Alors ? Lequel d’entre vous, seigneurs, veut combattre pour la liberté de son pays ?» Les barons se regardaient du coin de l’œil, la tête baissée. Ils auraient aimé le combattre, pour sauver leurs enfants, mais la puissance du Morholt ne leur laissait aucun espoir, fussent-ils quatre à le combattre à la fois. Le Morholt reprit :
(1) un gage : objet jeté à terre (comme un gant) symbolisant le défi lancé. Si l'objet est ramassé, le défi est accepté.
- «Lequel d’entre vous veut se battre ? Je lui offre pourtant là une belle occasion de se distinguer : car à trois jours d’ici, nous pouvons rejoindre l’île Saint-Samson, au large de Tintagel. Là, nous pourrions combattre, seul à seul.» Les barons se taisaient toujours. Le Morholt finit par dire : - «Eh bien, puisqu’il en est ainsi, tirez au sort les enfants que j’emporterai ! Mais j’étais loin de penser qu’il n’y avait que des femmelettes dans ce pays !» À ces mots, Tristan dit au roi : - «Seigneur roi, veuillez m’accorder le privilège de le combattre.» Le roi Marc voulut l’en dissuader, mais en vain. Tristan donna son gage au Morholt, qui l’accepta.
Au jour dit, Tristan se fit armer pour la grande aventure : il revêtit le haubert et le heaume. Quand les cloches sonnèrent, tous, du plus riche au plus pauvre, l’escortèrent jusqu’au rivage. Tristan monta seul dans la barque et cingla (1) vers l’île Saint-Samson. Le Morholt, qui avait tendu une voile de riche pourpre (2) à son mât, arriva le premier sur l’île. Il attachait sa barque au rivage quand Tristan, touchant terre à son tour, repoussa du pied la sienne vers la mer. - «Vassal, que fais-tu ? dit le Morholt, pourquoi n’as-tu pas attaché comme moi ta barque ?
(1) cingler : naviguer vers (2) pourpre : étoffe teinte à l'aide d'un pigment (poudre) rouge extrait d'un coquillage
- Vassal, à quoi bon ? répondit Tristan. Un seul d’entre nous reviendra vivant de cette île.» Sur ces mots, ils s’insultèrent et s’enfoncèrent dans l’île avant de se livrer combat. Personne n’assista au rude combat. Mais trois fois de suite, on crut entendre un cri furieux. Les femmes se lamentaient tandis que les compagnons du Morholt, regroupés devant leurs tentes, riaient aux éclats. Enfin, on distingua à l’horizon une voile de pourpre.
Des cris de détresse retentirent : - «Le Morholt ! Le Morholt !» Alors que la barque se rapprochait du rivage, soudain, au sommet d’une vague, surgit un chevalier qui se dressait à la proue, une épée brandie dans chaque main : c’était Tristan. Le preux chevalier s’élança sur la grève (1) et cria aux compagnons du Morholt : - «Seigneurs d’Irlande, le Morholt s’est bien battu. Regardez, mon épée est abîmée, un fragment de la lame est resté dans son crâne. Emportez ce morceau d’acier, seigneurs. C’est l’unique tribut que vous obtiendrez de la Cornouailles !»
(1) la grève : la plage
Il rejoignit Tintagel au milieu d’une foule en liesse (1). Mais quand il arriva au château, il s’effondra dans les bras du roi. Le sang coulait abondamment de ses blessures. Les compagnons du Morholt abordèrent en Irlande, le cœur lourd. Naguère, quand le Morholt rentrait au port de Weisefort, il était heureux de retrouver les siens, la reine sa sœur, et sa nièce, Iseut la Blonde, aux cheveux d’or. Elles le soignaient s’il avait quelque blessure car elles connaissaient parfaitement les baumes (2) et les breuvages (3) qui raniment les mourants.
(1) la liesse : une grande joie (2) un baume : une pommade, un onguent servant de remède (3) un breuvage : une boisson
Mais désormais le Morholt était mort. Son corps était conservé dans un cuir de cerf. Iseut la Blonde retira du crâne le fragment d’épée. Elle le mit dans un coffret d’ivoire. Courbées sur le grand cadavre, la mère et la fille se lamentaient et faisaient l’éloge du défunt tout en maudissant le meurtrier. À Tintagel, Tristan souffrait le martyr. Il avait été empoisonné par l’épieu du Morholt. Les médecins ne pouvaient rien faire. Une odeur si pestilentielle s’exhalait de ses plaies que tous ses amis l’avaient fui, sauf le roi Marc, Dinas de Lidan et Governal. On isola Tristan dans une cabane construite à l’écart sur le rivage. Il attendait la mort car il souffrait terriblement.
En dernier lieu, il désira rejoindre la mer. Marc consentit à son désir et le porta sur une barque sans rames ni voile. C’est Governal qui poussa au large la barque où gisait son cher Tristan, et la mer l’emporta. Il fut porté sept jours et sept nuits. Enfin, la mer l’approcha d’un rivage. Des pêcheurs l’aperçurent. Ils le recueillirent et retournèrent au port pour le remettre aux bons soins de leur dame.
Ce port était Weisefort, où gisait le Morholt. Leur dame était Iseut la Blonde. Elle seule, qui s’y connaissait en matière de philtre (1), pouvait sauver Tristan. Quand ce dernier fut ranimé par son art, il comprit qu’il était en terre hostile et fut contraint de mentir. Il raconta qu’il était jongleur et qu’il naviguait vers l’Espagne quand des pirates avaient assailli la nef sur laquelle il avait embarqué.
(1) un philtre : potion magique
Blessé, il s’était enfui sur cette barque. Tout le monde le crut et aucun des compagnons du Morholt ne le reconnut car le poison l’avait terriblement défiguré. Mais au bout de quarante jours, comme il guérissait et qu’il retrouvait ses traits, il comprit qu’il fallait fuir et il s’échappa pour reparaître à la cour du roi Marc.